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DE PHILOSOPHIE

dans un écrit particulier[1] l’usage et l’abus de l’esprit philosopique par rapport aux matières de goût ; c’est pourquoi nous terminerons ici cet essai. Nous n’ajouterons plus qu’un mot sur la manière d’étudier des élémens de philosophie bien faits. C’eat moins avec le secours d’un maître qu’on peut remplir ce but, qu’avec beaucoup de méditation et de travail. Savoir des élémens, ce n’est pas seulement connaître ce qu’ils contiennent, c’est en connaître l’usage, les applications et les conséquences, c’est pénétrer dans le génie des inventeurs, c’est se mettre en état d’aller plus loin qu’eus ; et c’est ce qu’on ne fait bien qu’à force d’étude et d’exercice. C’est aussi pour cela qu’on ne saura jamais parfaitement que ce qu’on s’est appris soi-même. Peut-être ferait-on bien, par cette même raison, d’indiquer en deux mots, dans des élémens de philosophie, l’usage et les conséquences des vérités fondamentales. Ce serait pour les commençans un sujet d’exercer leur esprit, en cherchant la preuve de ces conséquences, et en faisant disparaître les vides qu’on leur aurait laissé à remplir. Le propre d’un bon livre d’élémens est de faire beaucoup penser.

Des élémens composés suivant le plan que nous avons tracé dans cet essai, auraient une double utilité ; ils mettraient les bons esprits sur la voie des découvertes à faire, en leur présentant les découvertes déjà faites ; ils mettraient de plus les lecteurs ordinaires à portée de distinguer les vraies découvertes d’avec ce qui ne l’est pas ; car tout ce qui ne pourrait être ajouté aux élémens d’une science comme par forme de supplément, ne serait point digne du nom de découverte.

En général, l’objet d’une découverte doit être non-seulement grand et nouveau, mais encore utile, ou du moins curieux, et de plus difficile à trouver. Il n’y a que l’utilité éminente ou l’excessive singularité qui puisse dispenser, dans une découverte, du mérite de la difficulté vaincue. Les découvertes qui réunissent les cinq caractères dont nous venons de parler, sont de la première espèce 3 celles qui n’ont aucun de ces caractères dans un degré éminent, s’appellent simplement inventions.

Le hasard a fait plusieurs découvertes dans les arts, et même dans les sciences de faits, telles que la physique ; les découvertes dans les mathématiques et dans les autres sciences de pur raisonnement sont presque toujours l’ouvrage du génie ; quelquefois seulement le génie peut y concourir avec le hasard, lorsqu’en cherchant ce qu’on ne trouve point, on trouve ce qu’on ne cherchait pas. De pareilles découvertes sont une espèce de bon

  1. Voyez Réflexions sur l’usage et l’abus de la Philosophie dans les matières de goût.