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ÉLÉMENS

finité d’autres faits. Ces auteurs, avec les principes et la méthode dont ils se servent, ne seraient pas plus embarrassés pour expliquer des faits absolument contraires à ceux que nous observons ; pour prouver, par exemple, qu’en temps de pluie le baromètre doit hausser, que la neige doit tomber en été et la grêle en hiver, et ainsi du reste. Des faits et point de verbiage, voilà îa grande règle en physique comme en histoire ; ou pour parler plus exactement, les explications dans un livre de physique doivent être comme les réflexions dans l’histoire, courtes, sages, fines, amenées par les faits, ou renfermées dans les faits même par la manière dont on les présente.

Au reste, quand nous proscrivons de la physique la manie de tout expliquer, nous sommes bien éloignés de condamner, ni cet esprit de conjecture qui, tout à la fois timide et éclairé, conduit quelquefois à des découvertes ; ni cet esprit d’analogie, dont la sage hardiesse perce au-delà de ce que la nature semble vouloir montrer, et prévoit les faits avant que de les avoir vus. Ces deux talens précieux et rares trompent à la vérité quelquefois celui qui n’en fait pas assez sobrement usage ; mais ne se trompe pas ainsi qui veut.

Si la retenue et la circonspection doivent être un des principaux caractères du physicien, la patience et le courage doivent d’un autre côté le soutenir dans son travail. En quelque matière que ce soit, on ne doit pas trop se hâter d’élever entre la nature et l’esprit humain un mur de séparation. En nous méfiant de notre industrie, gardons-nous de nous en méfier avec excès. Dans l’impuissance que nous sentons tous les jours de surmonter tant d’obstacles qui se présentent à nous, nous serions sans doute trop heureux si nous pouvions du moins juger au premier coup d’œil jusqu’oii nos efforts peuvent atteindre : mais telle est tout à la fois la force et la faiblesse de notre esprit, qu’il est souvent aussi dangereux de prononcer sur ce qu’il ne peut pas que sur ce qu’il peut. Combien de découvertes modernes dont les anciens n’avaient pas même l’idée ? Combien de découvertes perdues que nous contesterions trop légèrement ? Et combien d’autres que nous jugerions impossibles, sont réservées pour notre postérité ?

XXI. CONCLUSION.

Nous avons tracé en général la méthode qu’on doit suivre dans l’étude des principales parties de la philosophie. Il nous reste encore deux objets, les faits historiques et les principes du goût. Nous avons déjà indiqué le plan que le philosophe doit se proposer dans l’étude des uns et des autres, nous avons même fixé