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DE PHILOSOPHIE

donc savoir s’arrêter sur ce qu’on ignore, ne pas croire que les mots de théorème et de corollaire fassent par quelque vertu secrète l’essence d’une démonstration, et qu’en écrivant à la fin d’une proposition, ce qu’il fallait démontrer, on rendra démontré ce qui ne l’est pas.

Reconnaissons donc que les différens sujets de physique ne sont pas également susceptibles de l’application de la géométrie. Si les observations ou les expériences qui servent de base au calcul sont en petit nombre, si elles sont simples et lumineuses, le géomètre sait alors en tirer le plus grand avantage, et en déduire les connaissances physiques les plus capables de satisfaire l’esprit. Des observations moins parfaites servent souvent à le conduire dans ses recherches, et à donner à ses découvertes un nouveau degré de certitude : quelquefois même les raisonnemens mathématiques peuvent l’instruire et l’éclairer, quand l’expérience est muette, ou ne parle que d’une manière confuse : enfin si les matières qu’il se propose de traiter ne laissent aucune prise à ses calculs, il se réduit alors aux simples faits dont les observations l’instruisent ; incapable de se contenter de fausses lueurs quand la lumière lui manque, il n’a point recours à des ra*sonnemens vagues et obscurs, au défaut de démonstrations rigoureuses.

C’est principalement la méthode qu’il doit suivre par rapport à ces phénomènes sur la cause desquels le raisonnement ne peut nous aider, dont nous n’apercevons point la chaîne, ou dont nous ne voyons du moins la liaison que très-imparfaitement, très-rarement, et après les avoir envisagés sous bien des faces. Ce sont là les faits que le physicien doit surtout chercher à bien connaître ; il ne saurait trop les multiplier ; plus il en aura recueilli, plus il sera près d’en voir l’union ; son objet doit être d’y mettre l’ordre dont ils seront susceptibles, d’expliquer autant qu’il sera possible les uns par les autres, d’en trouver la dépendance mutuelle, de saisir le tronc principal qui les unit, de découvrir même par leur moyen d’autres faits cachés et qui semblaient se dérober à ses recherches, en un mot, d’en former un corps oii il se trouve le moins de lacunes qu’il se pourra ; il n’en restera toujours que trop. Qu’il se garde bien surtout de vouloir rendre raison de ce qui lui échappe ; qu’il se défie de cette fureur d’expliquer tout, que Descartes a introduite dans la physique, qui a accoutumé la plupart de ses sectateurs à se contenter de principes et de raisons vagues, propres à soutenir également le pour et le contre. On ne peut lire sans étonnement, dans certains auteurs de physique, les explications qu’ils donnent des variations du baromètre, de la neige, de la grêle et d’une in-