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DE PHILOSOPHIE

mais, différant de la théorie sans l’ébranler, elle conduira à des vérités nouvelles auxquelles la théorie seule n’aurait pu atteindre.

Le premier objet réel de la physique expérimentale, est l’examen des propriétés générales des corps que l’observation nous fait connaître pour ainsi dire en gros, mais dont l’expérience seule peut mesurer et déterminer les effets ; tels sont, par exemple, les phénomènes de la pesanteur. Aucune théorie n’aurait pu nous faire trouver la loi que les corps pesans suivent dans leur chute verticale ; mais cette loi une fois connue par l’expérience, tout ce qui appartient au mouvement des corps pesans, soit rectiligne, soit curviligne, soit incliné, soit vertical, n’est plus que du ressort de la théorie : si l’expérience s’y joint, ce ne doit être que dans la même vue et de la même manière que pour les lois primitives de l’impulsion.

L’observation journalière nous apprend de même que l’air est pesant ; mais l’expérience seule pouvait nous éclairer sur la quantité absolue de sa pesanteur. Cette expérience est la base de l’aérométrie, et le raisonnement achève le reste. Il en est de même d’un grand nombre d’autres parties de la physique, dans lesquelles une seule expérience, ou même une seule observation sert de base à des théories complètes. Ces parties sont principalement celles qu’on a appelées physico-mathématiques, et qui consistent dans l’application de la géométrie et du calcul aux phénomènes de la nature. C’est par le secours de la géométrie qu’on parvient à déterminer la quantité d’un effet compliqué, et dépendant d’un autre effet mieux connu ; il ne faut donc pas s’étonner des secours que nous tirons de cette science dans la comparaison et l’analyse des faits que l’expérience nous découvre. Il n’est pas surprenant que les anciens aient peu cultivé cette branche de la physique. Souvent la plus subtile géométrie est nécessaire pour y réussir ; et la géométrie des anciens, quoique d’ailleurs très-profonde et très-savante, ne pouvait aller jusque-là. Il y a bien de l’apparence qu’ils l’avaient senti ; car leur méthode de philosopher, nous ne saurions trop le redire, était plus sage que nous ne nous l’imaginons communément. On doit donc, s’il est permis de parler ainsi, leur tenir compte de l’ignorance oii ils étaient sur ce point, de n’avoir pas voulu atteindre à ce qu’il leur était impossible de savoir, et de n’avoir point cherché à faire croire qu’ils y étaient parvenus. Les géomètres modernes ont su se procurer à cet égard plus de secours, non parce qu’ils sont supérieurs aux anciens, mais parce qu’ils sont venus depuis. La perfection de l’analyse et l’invention des nouveaux calculs nous ont mis en état de soumettre à la géométrie des phénomènes très-compliqués.