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DE PHILOSOPHIE

tienne. Peu à peu la physique de Descartes succéda dans les écoles à celle d’Aristote, ou plutôt de ses commentateurs. Si on ne touchait pas encore à la vérité, on était du moins sur la voie ; on fit quelques expériences, on tenta de les expliquer ; il eût été mieux qu’on se bornât à les bien faire, et a les rapprocher les unes des autres avant que d’en venir à aucun système ; mais enfin il ne faut pas espérer que l’esprit humain se délivre si promptement de tous ses préjugés. Enfin Newton inontra le premier ce que ses prédécesseurs n’avaient fait qu’entrevoir, l’art d’introduire la géométrie dans la physique, et de former, en réunissant l’expérience au calcul, une science exacte, profonde, lumineuse et nouvelle. Aussi grand du moins par ses expériences d’optique que par son système du monde, il ouvrit de tous côtés une carrière immense et sure ; l’Angleterre saisit ses vues ; la Société royale les regarda comme siennes ; les académies de France s’y prêtèrent plus lentement et avec plus de résistance, par la même raison qui avait fait rejeter aux universités, pendant plusieurs années, la physique de Descartes. La lumière a enfin prévalu : la génération, ennemie de ces grands hommes, s’est éteinte ou est demeurée muette dans les académies, et dans les universités auxquelles les académies semblent aujourd’hui donner le ton. Une génération nouvelle s*est élevée, qui achèvera la révolution ; car, quand les fondemens d’une révolution sont jetés, c’est presque toujours dans la génération suivante que la révolution s’achève ; rarement en deçà, parce que les obstacles périssent plutôt que de céder ; rarement au-delà, parce que les barrières une fois franchies, l’esprit humain prend un essor rapide, jusqu’à ce qu’il rencontre un nouvel obstacle qui l’oblige de s’arrêter pour long-temps.

L’Université de Paris fournit aujourd’hui une preuve convaincante des progrès de la philosophie parmi nous. La géométrie et la physique expérimentale y sont cultivées avec succès. Plusieurs jeunes professeurs, pleins de savoir, d’esprit et de courage (car il en faut pour les innovations même les plus innocentes), ont osé quitter la route battue pour s’en frayer une nouvelle ; tandis que dans d’autres écoles, auxquelles nous épargnons la honte de les nommer, les lois du mouvement de Descartes et même la physique péripatéticienne sont encore en honneur. Les jeunes maîtres dont nous parlons forment des élèves vraiment instruits, qui, au sortir de leur philosophie, sont initiés aux vrais principes de toutes les sciences physico-mathématiques, et qui ne sont plus obligés, comme on l’était il y a peu de temps, d’oublier ce qu’ils ont appris dans les écoles.

Nous terminerons cette courte histoire de la physique expéri-