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ÉLÉMENS

que physiciens, ils semblent s’être plus appliqués à la décomposition des corps particuliers, et au détail des usages qu’ils en pouvaient faire, qu’à l’étude générale de la nature. Riches d’une infinité de connaissances utiles ou curieuses, mais détachées, ils ignoraient les lois du mouvement, celles de l’hydrostatique, la pesanteur de l’air dont ils voyaient les effets sans les connaître, et plusieurs autres vérités qui sont aujourd’hui la base et comme les élémens de la physique moderne.

Le chancelier Bacon, Anglais comme le moine (car ce nom et ce peuple sont heureux en philosophie), embrassa le premier un plus vaste champ. Il entrevit les principes généraux qui doivent servir de fondement à l’étude de la nature, il proposa de les reconnaître par la voie de l’expérience, il annonça un grand nombre de découvertes qui se sont faites depuis. Descartes qui le suivit de près, et qu’on accusa, peut-être assez mal à propos, d’avoir puisé des lumières dans les ouvrages de Bacon, ouvrit quelques routes dans la physique expérimentale ; mais il la recommanda plus qu’il ne la pratiqua, et c’est ce qui l’a conduit à plusieurs erreurs. Il eut, par exemple, le courage de donner le premier des lois du mouvement ; courage qui mérite la reconnaissance des philosophes, puisqu’il a mis ceux qui ont suivi sur îa route des lois véritables ; mais l’expérience, ou plutôt, comme nous le dirons plus bas, des réflexions sur les observations les plus communes, lui auraient appris que les lois qu’il avait données étaient insoutenables. Descartes, et Bacon lui-même, malgré toutes les obligations que leur a la philosophie, lui auraient peut-être été plus utiles encore, s’ils eussent été plus physiciens de pratique et moins de spéculation ; mais le plaisir oisif de la niéditation et de la conjecture même entraîne les grands génies ; ils commencent beaucoup et finissent peu ; ils proposent des vues, ils prescrivent ce qu’il faut faire pour en constater la justesse et l’avantage, et laissent le travail mécanique à d’autres, qui, éclairés par une lumière étrangère, ne vont pas aussi loin que leurs maîtres auraient été seuls. Ainsi les uns pensent ou rêvent, les autres agissent ou manœuvrent, et l’enfance des sciences est éternelle.

Cependant l’esprit de la physique expérimentale, que Bacon et Descartes avaient introduit, s’étendit insensillement. L’académie de Florence, Boyle, Mariotte, et après eux plusieurs autres, firent un grand nombre d’expériences avec succès. Les académies se formèrent, et saisirent avec empressement cette manière de philosopher. Les universités pi us lentes, parce qu’elles étaient déjà toutes formées lors de la naissance de la physique expérimentale, suivirent long-temps encore leur méthode au-