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ÉLÉMENS

voyé, ou de celui qu’il ailait voir, et qui avait trouvé la manière la plus philosophique de jouir de la nature et des hommes, en étudiant l’une et en se moquant des autres.

Cependant les anciens paraissent avoir cultivé la physique que nous appelons vulgaire, préférablement à celle que nous avons nommée physique occulte, et qui est proprement la physique expérimentale. Ils se contentaient de lire dans le grand livre de la nature, toujours ouvert pour eux ainsi que pour nous ; mais ils y lisaient assidûment, et avec des yeux plus attentifs et plus sûrs que nous ne l’imaginons ; plusieurs faits qu’ils ont avancés, et qui d’abord avaient été démentis par les modernes, se sont trouvés vrais quand on les a mieux approfondis. La méthode que suivaient les anciens, en cultivant l’observation plus que l’expérience, était très-philosophique, et la plus propre de toutes à faire faire à la physique les plus grands progrès dont elle fût capable dans ce premier âge de l’esprit humain. Avant d’employer et d’user notre sagacité pour chercher un fait dans des combinaisons subtiles, il faut être bien assuré que ce fait n’existe pas autour de nous et sous notre main ; comme il faut en géométrie réserver ses efforts pour trouver ce qui n’a pas été résolu par d’autres. Tout est lié si intimement dans la nature, qu’une simple collection de faits, bien riche et bien variée, avancerait prodigieusement nos connaissances ; et s’il était possible de rendre cette collection complète, ce serait peut-être le seul travail auquel le physicien dut se borner : c’est au moins celui par lequel il faut qu’il commence ; et telle est la méthode que les anciens ont suivie. Les plus sages d’entre eux ont fait la table de ce qu’ils voyaient, l’ont bien faite et s’en sont tenus là. Ils n’ont connu de l’aimant que sa propriété la plus facile à découvrir, celle d’attirer le fer ; les merveilles de l’électricité qui les entouraient, et dont on trouve quelques traces dans leurs ouvrages, ne les ont point frappés, parce que pour êtra frappé de ces merveilles il eût fallu en voir le rapport à des faits plus cachés, que l’expérience a su nous dévoiler dans ces derniers temps. Car l’expérience, parmi plusieurs avantages, a celui d’étendre le champ de l’observation. Un phénomène que l’expérience nous apprend, ouvre nos yeux sur une infinité d’autres qui ne demandaient qu’à être aperçus. L’observation, par la curiosité qu’elle inspire et par les vides qu’elle laisse, mène à l’expérience ; l’expérience ramène à l’observation par la même curiosité qui cherche à remplir et à serrer de plus en plus ces vides : ainsi on peut regarder l’expérience et l’observation comme la suite et le complément l’une de l’autre.

Les anciens ne paraissent avoir cultivé l’expérience que par