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DE PHILOSOPHIE

voir et à bien détailler les phénomènes de toute espèce que la nature nous présente. L’expérience cherche à pénétrer la nature plus profondément, à lui dérober ce qu’elle cache, à créer en quelque manière, par la différente combinaison des corps, de nouveaux phénomènes pour les étudier ; enfin elle ne se restreint pas à écouter la nature, mais elle l’interroge et la presse. On pourrait appeler l’observation, la physique des faits, ou plutôt la physique vulgaire et palpable, et réserver pour l’expérience le nom de physique occulte ; pourvu qu’on attache à ce mot une idée plus philosophique et plus vraie que n’ont fait certains physiciens modernes, et qu’on le borne à désigner la connaissance des faits cachés dont on s’assure en les voyant, et non le roman des faits supposés qu’on devine bien ou mal sans les chercher ni sans les voir.

Les anciens, auxquels nous nous croyons fort supérieurs dans les sciences, parce que nous trouvons plus court et plus agréable de nous préférer à eux que de les lire, n’ont pas autant négligé l’étude de la nature que nous les en accusons communément. Leur physique n’était ni aussi déraisonnable ni aussi bornée que le pensent ou que le disent quelques écrivains de nos jours. Les ouvrages d’Hippocrate seul seraient suffisans pour montrer l’esprit qui conduisait alors les philosophes. Au lieu de ces systèmes, sinon meurtriers, du moins ridicules, qu’a enfantés la médecine moderne, pour les proscrire ensuite, on y trouve des faits bien vus et bien rapprochés ; on y voit un système d’observations, qui encore aujourd’hui sert de base à l’art de guérir. Or il semble qu’on peut juger par l’état de la médecine chez les anciens, de celui oii la physique était parmi eux, en premier lieu, parce que les ouvrages d’Hippocrate sont les monumens les plus considérables qui nous restent de la physique ancienne ; en second lieu, parce que la médecine étant la partie la plus essentielle et la plus intéressante de la physique, on peut toujours juger avec assez de certitude de la manière dont on traite celleci, par la manière dont, celle-là est cultivée. C’est une vérité dont l’expérience nous assure, puisqu’à compter seulement de la renaissance des lettres, nous avons toujours vu subir à l’une de ces sciences les changemens qui ont altéré ou dénaturé l’autre.

Nous savons d’ailleurs que dans le temps même d’Hippocrate, plusieurs grands hommes, à la tête desquels on doit placer Démocrite, s’appliquèrent avec succès à l’étude de la nature. On. prétend que le médecin, envoyé par les habitans d’Abdère pour guérir la prétendue folie du philosophe, le trouva occupé à disséquer et à observer des animaux ; et l’on peut juger qui fut trouvé le plus fou par Hippocrate, ou de ceux qui l’avaient en-