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ÉLÉMENS

les avait accoutumés à ne s’étonner de rien, ou plutôt à s’étonner également de tout. Aussi peu éclairés que le peuple sur les premiers principes de toutes choses, ils n’ont et ne peuvent avoir d’avantage que dans la combinaison qu’ils font de ces principes et dans les conséquences qu’ils en tirent ; et c’est dans cette espèce d’analyse que les mathématiques leur sont utiles. C’est avec le secours seul de ces sciences qu’il est permis de pénétrer dans les fluides, et de découvrir le jeu de leurs parties, l’action qu’exercent les uns sur les autres ces atomes innombrables dont un fluide est composé, et qui paraissent tout à la fois unis et divisés, dépendans et indépendans les uns des autres.

L’ignorance où l’on est de la constitution intérieure des fluides, n’a donc pas empêché les physiciens géomètres de faire de grands progrès dans la science de l’équilibre et du mouvement de ces corps. Ne pouvant déduire immédiatement et directement de la nature des fluides les lois de leur équilibre et de leur mouvement, ils les ont au moins réduites à des principes d’expérience, qu’ils ont regardés (faute de mieux) comme les propriétés fondamentales des fluides, et comme celles auxquelles il fallait rapporter toutes les autres. La nature est une machine immense dont les ressorts principaux nous sont cachés ; nous ne voyons même cette machine qu’à travers un voile qui nous dérobe le jeu des parties les plus délicates ; entre les parties plus frappantes, ou si l’on veut plus grossières, que ce voile nous permet d’entrevoir et de découvrir, il en est plusieurs qu’un même ressort met en mouvement, et c’est là surtout ce que nous devons chercher à démêler. Condamnés comme nous le sommes à ignorer l’essence et la contexture intérieure des corps, la seule ressource qui reste à notre sagacité est de tâcher au moins de saisir dans chaque matière l’analogie des phénomènes, et de les rappeler tous à un petit nombre de faits primitifs et fondamentaux. C’est ainsi que Newton, sans assigner la cause de la gravitation universelle, n’a pas laissé de démontrer que le système du monde est uniquement appuyé sur les lois de cette gravitation.

Nous jugerons aisément du plan que nous devons suivre dans la mécanique des fluides, si nous examinons d’abord quelle différence il doit y avoir entre les principes généraux de cette mécanique, et ceux de la mécanique des corps ordinaires. Ces derniers principes, comme nous l’avons dit plus haut, peuvent se réduire à trois ; savoir, la force d’inertie, le mouvement composé, et l’équilibre de deux masses égales, animées en sens contraire de vitesses virtuelles égales. Nous avons donc ici deux questions à résoudre ; en premier lieu, si ces trois principes sont