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ÉLÉMENS

Quiconque réfléchira sur la manière dont on démontre en optique ces différentes propriétés de la lumière, ne sera pas surpris que l’illustre aveugle Saunderson ait donné des leçons publiques de cette science, sans avoir aucune idée de la manière dont les rayons de lumière produisent la vision. Il lui suffisait de regarder ces rayons comme des faisceaux de lignes droites, qui en agissant sur les yeux produisaient à peu près l’effet du toucher ; avec cette différence que le toucher s’exerce par le contact immédiat, et la vue par l’action d’une matière placée entre l’œil et le corps lumineux ; à peu près comme un aveugle reconnaît au moyen de son bâton les corps éloignés de lui. Ces suppositions faites, les propositions d’optique étaient pour Saunderson des théorèmes de géométrie pure, qu’il démontrait comme il eût fait ceux d’Euclide ; et oii se trouve en effet îa même évidence mathématique.

Il s’en faut beaucoup qu’on puisse porter cette évidence dans îa partie de l’optique qui examine les lois de la vision. Rien n’est moins satisfaisant, il faut l’avouer, que les raisonnemens des philosophes sur les moyens par lesquels l’œil juge de la distance et de la grandeur apparente des objets, sur le lieu oii l’on voit l’image dans les miroirs et dans les verres courbes, enfin sur les jugemens qu’on porte de la grandeur de cette même image. Ce sont là néanmoins les questions préliminaires et fondamentales de la théorie de la vision, dans laquelle il est impossible de faire aucun progrès sans les avoir résolues. Aussi le philosophe ne doit-il guère traiter ces différeus objets, que pour faire sentir combien il y reste à désirer, ou plutôt que tout y est encore à faire ; et pour indiquer, s’il est possible, les moyens de répandre de nouvelles lumières sur une matière si curieuse.

Ce que nous venons de dire de l’optique, nous pouvons le dire à peu près d’une autre science qui lui est analogue, de l’acoustique ou de la théorie des sons. Les mathématiques nous fournissent des méthodes pour calculer les vibrations des cordes sonores, eu égard à leur degré de tension, à leur grosseur et à leur longueur ; mais quelle est la cause du plaisir que certains accords produisent en nous, et des sensations désagréables que d’autres nous font éprouver ? Voilà sur quoi nous ne sommes pas plus instruits qu’on l’était du temps de Pythagore. Il ne faut en ce genre qu’une légère connaissance des faits pour se convaincre de l’insuihsance des raisons qu’on en donne[1]. L’expérience seule est donc la base de l’acoustique, et c’est de là qu’il en faut tirer les règles. Un célèbre musicien de nos jours a déjà frayé cette route, en déduisant avec succès de la résonnance

  1. Voyez dans l’Encyclopédie les art. Consonnance et Fondamental.