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DE D’ALEMBERT.

d’elle, sassurait par ses yeux des soins qu’on avait de sa vieillesse, cherchait à prévenir, à deviner ce qui pouvait rendre plus douce la fin d’une vie sur laquelle sa reconnaissance et sa tendresse avaient répandu l’aisance et le bonheur. En quittant cette maison, il chercha un asile dans l’amitié, dans la société habituelle d’une femme aimable, qui, par une sensibilité simple et vraie, par les grâces piquantes et naturelles de son esprit, par la force de son âme et de son caractère, avait fait naître en lui un sentiment que les malheurs qu’elle avait longtemps éprouvés rendirent plus profond et plus tendre, et qui eût été la consolation de la vie de d’Alembert, s’il n’avait pas eu le malheur de lui survivre.

Les savans et les écrivains les plus célèbres, des étrangers distingués par leurs lumières, des hommes de tous les ordres, mais choisis parmi ceux qui aimaient la vérité, et qui étaient dignes de l’entendre, lui formèrent alors une société nombreuse, où se joignait une foule de jeunes littérateurs et de gens du monde, que le désir de voir un grand homme, ou la vanité de dire qu’ils l’avaient vu, attirait auprès de lui ; cette société rassemblait, pour ainsi dire, tous les hommes qui, zélés pour les intérêts de l’humanité, mais différens parleurs occupations, leurs goûts, leurs opinions, n’étaient rapprochés que par un désir égal de hâter le progrès des lumières, un même amour pour le bien, et un respect commun pour l’homme illustre que son génie et sa gloire avaient naturellement placé à leur tête elle offrait aux jeunes gens qui entraient dans la carrière des lettres, les moyens de faire des connaissances utiles à leur avancement ou à leur fortune, sans se livrer à une dissipation d’autant funeste pour le talent, qu’il est encore moins formé ; ils y trouvaient les encouragemens que donne le suffrage libre et éclairé des hommes supérieurs, les lumières utiles qui s’échappent de leur conversation, enfin la crainte salutaire pour la jeunesse, de perdre par sa conduite l’estime d’une société qu’on respecte et qu’on recherche. Ce n’est point ici mon jugement que j’expose, c’est l’expression fidèle des senlimens de plusieurs de ceux qui étaient admis chez d’Alembert, telle qu’elle leur est échappée au milieu de leurs regrets.

La constitution de d’Alembert était naturellement faible ; le régime le plus exact, l’abstinence absolue de toute liqueur lèrmentée, l’habitude de ne manger que seul d’un très-petit nombre de mets sains et apprêtés simplement, ne purent le préserver d’éprouver avant l’âge les inhrmiiés et le dépérissement de la vieillesse : il ne lui restait depuis long-temps que deux plaisirs, le travail et la conversation ; son état de faiblesse lui enlevait celui des deux qui lui était le plus cher : cette privation altéra un peu son humeur, son penchant à l’inquiétude augmenta ; son âme paraissait comme ses organes, mais cette faiblesse n’était qu’apparente ; on le croyait accablé par la douleur, et on ignorait qu’il en employait les intervalles à discuter quelques questions mathématiques qui avaient piqué sa curiosité, à perfectionner son histoire de l’académie, à augmenter sa traduction de Tacite, et à la corriger ; on ne devinait pas que, dans le moment ou il verrait que son terme approchait, et qu’il n’avait plus qu’à