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DE PHILOSOPHIE.

et qu’elle vient d’une cause qui pénètre les corps ; au lieu que l’impulsion est proportionnelle à la quantité de surface. Enfin, ce qui semble dévoiler pleinement la manière dont M. Newton pensait à cet e’gard, c’est qu’il a consenti qu’on imprimât à la tête de la deuxième édition de ses principes la fameuse préface, dans laquelle M. Cotes, son disciple, dit expressément que l’attraction est une propriété aussi essentielle à la matière que l’impénétrabilité et l’étendue ; assertion qui nous paraît trop précipitée, quelque sentiment qu’on suive d’ailleurs sur la nature de la force attractive. Car cette force pourrait être une propriété primordiale, un principe général de mouvement dans la nature, sans être pour cela une propriété essentielle de la matière. Dès que nous concevons un corps, nous le concevons étendu, impénétrable, divisible et mobile ; mais nous ne concevons pas nécessairement qu’il agisse sur unautre corps. La gravitation, si elle est telle que la conçoivent les attractionnaires décidés, ne peut avoir pour cause que la volonté d’un être souverain, qui aura voulu que les corps agissent les uns sur les autres à distance comme dans le contact.

Quoi qu’il en soit, fût-il absolument impossible de réduire la force attractive aux lois de l’impulsion, c’est aux phénomènes seuls à nous décider sur l’existence de cette force. Si parmi ceux que nous connaissons ou que nous découvrirons dans la suite, il s’en trouvait quelques uns de contraires à l’attraction, nos géomètres en seraient plus embarrassés, et nos métaphysiciens plus à leur aise. Mais s’ils décidaient en sa faveur, il faudrait bien prendre le parti de l’admettre, dût-on se résoudre à n’avoir pas une idée plus nette de la vertu par laquelle les corps s’attirent que de celle par laquelle ils se choquent. Croit-on en effet avoir une idée claire de la vertu impulsive des corps ? Quoiqu’il soit bien prouvé qu’une portion de matière mise en mouvement doit communiquer une partie de ce mouvement à une autre portion de matière qu’elle rencontre, peut-on concevoir d’une manière distincte cette vertu secrète par laquelle le mouvement se transmet d’un corps dans un autre ? Les phénomènes nous prouvent l’existence de la matière, sans nous rien apprendre sur sa nature. Les mêmes phénomènes nous font connaître les forces qui agissent sur elle, sans nous éclairer sur la nature de ces forces.

L’extension du principe de l’attraction aux corps qui nous environnent, est encore un point sur lequel les philosophes ne sauraient être trop réservés. En premier lieu, la manière dont on explique par cette dernière attraction plusieurs phénomènes, n’est pas à beaucoup près aussi précise que celle dont on explique par le même principe les phénomènes astronomiques. En second