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ÉLÉMENS

Il y a donc, par rapport à l’attraction, deux points sur lesquels on ne saurait procéder avec trop de prudence ; le premier est de ne pas prononcer trop affirmativement sur la nature de la cause qui produit la gravitation des planètes ; le second de ne pas transporter trop légèrement cette force, des corps célestes aux corps qui nous environnent. D’un côté on n’a pu jusqu’à présent déduire l’attraction des autres lois connues de la nature, et en particulier des lois de l’impulsion des fluides ; de l’autre il paraît dffîicile de comprendre comment deux corps placés dans le vide agissent l’un sur l’autre par leur seule présence. La difficulté de le concevoir augmente encore, quand on fait attention à la loi suivant laquelle l’attraction agit. Les corps célestes s’attirent en raison inversé du carré de leurs distances, c’est-à-dire qu’à une dist ; ance iiouble leur attraction est quatre fois moindre, neuf fois à une distance triple, et ainsi du reste. Or, si la seule présence des corps suffit pour produire leur attraction, pourquoi cette attraction n’est-elle pas la même à quelque distance que ce soit ? L’action de la lumière, et en général plusieurs autres actions semblables, sont à la vérité en raison inverse du carré de la distance comme celle de l’attraction ; mais l’action de la lumière paraît produite par des corpuscules qui sont élancés ou poussés par le corps lumineux ; et comme le nombre des rajons, qui partant d’un centre frappent un même corps, diminue à mesure que le corps s’éloigne, il est évident que la distance doit diminuer l’action de la lumière. Dans le système de l’attraction on ne peut rien imaginer de semblable, à moins qu’on n’attribue l’attraction à l’action d’un fluide, hypothèse qui ne saurait à d’autres égards se concilier avec les phénomènes. Soit que M. Newton fut frappé de ces raisons ou de quelques autres semblables, soit qu’il voulût ménager les préjugés bien ou mal fondés des philosophes de son temps sur la nécessité de l’impulsion pour produire le mouvement des corps, il ne s’est jamais expliqué clairement par rapport à la nature de la force attractive. Il ne nie point qu’elle ne puisse être l’effet de l’impulsion ; il tâche même de l’y réduire. Mais les idées qu’il propose pour remplir ce but, sont si imparfaites et si vagues, qu’il est difficile de penser qu’un si grand philosophe pût en être satisfait. On sent même en le lisant, malgré tous les faux fuyans dont il se couvre, qu’il était fort porté à regarder l’attraction comme un premier principe et comme une loi primitive de la nature. Car, d’un côté, il admet une attraction réciproque entre les corps, réciprocité qui semble supposer que l’attraction est une propriété inhérente à la matière ; de l’autre il remarque que la gravita-tioo est proportionnelle à la quantité de matière que les corps contiennent,