Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/363

Cette page n’a pas encore été corrigée
323
DE PHILOSOPHIE.

rait encore produire quelque dérangement dans cette planète ; et peut-être sera-t-il nécessaire d’avoir égard à l’action des satellites pour déterminer entièrement et avec exactitude toutes les inégalités du mouvement de Saturne, aussi bien que celles de Jupiter.

Si les satellites agissent sur les planètes principales, et si celles-ci agissent les unes sur les autres, elles agissent donc aussi sur le soleil ; c’est une conséquence assez naturelle. Mais jusqu’ici les faits nous manquent encore pour la vérifier. Le moyen le plus sûr de décider cette question, est d’examiner les inégalités de Saturne. Car il est démontré que, si Jupiter et Saturne agissent sur le soleil, il doit résulter de cette action une variation particulière dans le mouvement apparent de Saturne vu du soleil ; c’est aux astronomes à s’assurer si cette variation existe, et si elle est telle que la théorie la donne.

On peut voir par ce détail quels sont les différens degrés de certitude que nous avons jusqu’ici du système de l’attraction, et quelle nuance observent ces degrés. Ce sera la même chose, quand on voudra transporter le système général de l’attraction des corps célestes, à l’attraction des corps terrestres ou subluiiaires. Nous remarquerons en premier lieu, que cette attraction ou gravitation générale se manifeste moins en détail dans toutes les parties de la matière qui nous environne, qu’elle ne fait pour ainsi dire en total dans les différens globes qui composent le système du monde ; nous remarquerons, outre cela, qu’elle se manifeste dans quelques uns des corps terrestres plus que dans les autres, qu’elle paraît agir ici par impulsion, là par une mécanique inconnue, ici suivant une loi, là suivant une autre. Enfin, plus nous généraliserons et nous étendrons la gravitation, plus ses effets nous paraîtront variés, et plus nous la trouverons obscure, et en quelque manière informe, dans les phénomènes qui en résultent ou que nous lui attribuons. Soyons donc très-réservés sur cette généralisation, aussi bien que sur la nature de la force qui produit la gravitation des planètes. Reconnaissons seulement que les effets de cette force n’ont pu se réduire encore à aucune des lois connues de la mécanique ; n’emprisonnons point la nature dans les limites étroites de notre intelligence ; approfondissons assez l’idée que nous avons de la matière, pour être circonspects sur les propriétés que nous lui attribuons, ou que nous lui refusons ; et n’imitons pas le grand nombre des philosophes modernes qui, en affectant un doute raisonné sur les objets qui les intéressent le plus, semblent vouloir se dédommager de ce doute par des assertions prématurées sur les questions qui les touchent le moins.