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ÉLÉMENS

système, et que certains auteurs affectent d’en appeler l’appareil, mais qui en sont réellement le corps et la substance, parce qu’ils en renferment les preuves les plus subtiles et les plus incontestables, et qu’ils en font par conséquent la difficulté et le mérite. Qu’importe à l’honneur de Copernic que quelques anciens philosophes aient cru le mouvement de la terre, si les preuves qu’ils en donnaient n’ont pas été suffisantes pour empêcher le plus grand nombre de croire le mouvement du soleil ? Qu’importe à la gloire de Newton qu’Empédocle ou d’autres aient eu quelques idées vagues et informes du système de la gravitation, quand ces idées ont été dénuées des preuves nécessaires pour les appuyer ? En vain un savant illustre, en revendiquant nos hypothèses et nos opinions à l’ancienne philosophie, a cru la venger d’un mépris injuste, que les vrais savans et les bons esprits n’ont jamais eu pour elle. Sa dissertation sur ce sujet ne fait, ce me semble, ni beaucoup de tort aux modernes, ni beaucoup d’honneur aux anciens, mais seulement beaucoup à l’érudition et aux lumières de son auteur[1].

Descartes, ce philosophe à qui les sciences et l’esprit humain ont tant d’obligation, dont les erreurs même étaient au-dessus de son siècle, et n’ont été que trop long-temps au-dessus du nôtre, est proprement le premier qui ait traité du système du monde avec quelque soin et quelque étendue. Dans un temps où les observations astronomiques, la mécanique et la géométrie étaient encore très-imparfaites, il imagina pour expliquer les mouvemens des planètes, l’ingénieux et célèbre système des tourbillons. La matière subtile, disait ce philosophe, se meut circulairement autour du soleil ; en vertu de ce mouvement elle a une force centrifuge ; en vertu de cette force, toutes les parties du fluide raù en tourbillon tendent à s’éloigner du soleil ; elles doivent donc imprimer aux planètes une tendance vers cet astre, c’est-à-dire dans un sens contraire à la direction de la force centrifuge ; par la même raison qu’un fluide qui pèse de haut en bas, tend à pousser de bas en haut les corps qu’on y plonge, et les y pousse en effet, s’ils tendent de haut en bas avec moins de force que lui. La philosophie ancienne et moderne n’a peut-être rien imaginé de plus simple en apparence et de plus naturel que cette hypothèse. Mais si avant l’examen elle paraît conforme au gros des phénomènes, les détails et l’examen approfondi de ces mêmes phénomènes font bientôt voir qu’elle ne peut subsister ; c’est ce qui a obligé Newton d’y substituer l’hypothèse de la gravitation universelle, qui moins séduisante peut-être au premier coup d’œil, a presque cessé d’être

  1. Voyez les Mémoires de l’Académie des belles-lettres, t. 18, p. 97.