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ÉLÉMENS

simples notions du sens commun ; et les philosophes qui veulent réaliser le vide, se perdent dans leurs spéculations.

À l’égard du temps, il est d’abord certain que nous n’en avons la notion que par la succession de nos idées ; il ne l’est pas moins que ce n’est pas la succession de nos idées qui fait le temps, puisque le temps a une mesure indépendante de nos idées, mesure que nous fournit le mouvement des corsos. Mais y aurait-il un temps, s’il n’y avait rien du tout ? Oui et non ; comme on peut dire qu’il y aurait un lieu et qu’il n’y en aurait pas s’il n’y avait point de corps ; qu’il y aurait un lieu, parce qu’il y aurait un espace prêt à recevoir les corps ; qu’il n’y en aurait pas, parce que l’idée de lieu suppose celle du corps qui l’occupe. De même s’il n’y avait rien, il n’y aurait point de temps, parce que l’idée de temps est relative à des êtres qui existent successivement ; et il y en aurait un, parce que le temps ne serait alors que la simple possibilité de succession dans des êtres qui n’existeraient pas ; succession qui n’est rien de réel, qu’autant qu’il y a réellement des êtres existans.

Quoi qu’il en soit de cette discussion sur l’espace et sur le temps, nous ne saiirions trop insister sur ce que nous avons déjà dit ailleurs, qu’elle est absolument étrangère et inutile à la mécanique. Cette science ne suppose autre chose que les notions naturelles de l’espace et du temps, telles qu’elles sont dans tous les hommes ; notions très-simples et très-nettes par elles-mêmes, et que la philosophie seule a le privilège d’obscurcir et d’embrouiller.

Mais les questions que nous venons de proposer sur la nature du temps et de l’espace, nous fourniront l’occasion d’un éclaircissement utile sur la définition que les mécaniciens donnent de la vitesse.

La vitesse d’un corps qui se meut uniformément est égale, disent-ils, à l’espace divisé par le temps ; ou, comme s’expriment d’autres mathématiciens, le résultat de cette division est la mesure de la vitesse. Cette manière de s’exprimer, prise à la rigueur, ne présente point d’idée nette ; car on ne saurait diviser l’espace par le temps ; on ne divise point une quantité par une autre de nature différente ; diviser une lieue par une heure, c’est comme si on voulait savoir combien de fois une heure est contenue dans une lieue, et on voit bien que cette question n’a pas de sens. Que veut donc dire cette proposition, la vitesse est égale à l’espace divisé par le temps ? Cela veut dire, que si deux corps se meirvent uniformément, leurs vitesses seront entre elles comme les nombres qui expriment les rapports des espacés qu’ils parcourent, sont aux nombres qui expriment les rapports