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DE PHILOSOPHIE.

très-petite ? On se jette alors dans une autre difficulté. Car suivant l’hypothèse généralement admise par les philosophes, l’action de la pesanteur est continue, et tend à chaque instant à imprimer au corps la même vitesse qu’au premier instant ; ainsi cette vitesse, si elle était finie au premier instant, serait infinie au bout d’un temps fini, ce qui est contraire aux observations. Voilà donc un problème que nous laissons à résoudre aux mécaniciens philosophes.

§ XVI. Éclaircissement sur l’espace et sur le temps, page 301.

Les philosophes demandent si l’espace a une existence indépendante de la matière, et le temps une existence indépendante des êtres existans ; y aurait-il un espace s’il n’y avait point de corps, et une durée s’il n’y avait rien ? Ces questions viennent, ce me semble, de ce qu’on suppose à l’espace et au temps plus de réalité qu’ils n’en ont.

Et premièrement, quant à l’espace, supposons trois corps contigus qui se touchent immédiatement : imaginons pour un moment que celui du milieu soit ôté, il restera entre les deux corps extrêmes un espace dont l’étendue sera égale à celle qu’occupait le corps du milieu ; cet espace a bien évidemment une existence indépendante de celle de ce troisième corps, puisqu’il existe également, soit que ce troisième corps soit mis entre les deux corps extrêmes, ou qu’il en soit ôté ; avec cette différence que dans le premier cas l’espace est impénétrable, c’est-à-dire qu’on ne peut y placer un nouveau corps, et que dans le second on peut y placer un corps dont l’étendue soit égale à celle de cet espace. D’un autre côté, quand le troisième corps est placé entre les deux autres, les deux espaces dont on vient de parler, l’un pénétrable, l’autre impénétrable, n’en font plus qu’un : le premier est donc anéanti ; car on ne peut pas dire que ce soit le second, puisque cet espace impénétrable appartient au troisième corps placé entre les deux autres, et que ce troisième corps existe évidemment. Ôtons à présent ce troisième corps, en laissant les deux autres à leur place ; l’espace pénétrable, auparavant anéanti, renaîtra tout à coup et sera comme créé de nouveau. Or cette succession d’anéantissement et de création, qu’on peut multiplier tant qu’on voudra, est une chose absurde, si on suppose que l’espace soit un être réel, une substance, en un mot autre chose, si je puis parler de la sorte, qu’une simple capacité, propre à recevoir l’étendue impénétrable. Les enfans qui disent que le vide n’est rien ont raison, parce qu’ils s’en tiennent aux