Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée
314
ÉLÉMENS

de celles en vertu desquelles un corps paraît se mouvoir sans aucune cause d’impulsiou. Telles sont, par exemple, les lois de la pesanteur, supposé, comme bien des philosophes le croient aujourd’hui, que ces lois n’aient pas l’impulsion pour cause. Dans cette supposition il est évident que les lois dont il s’agit ne pourraient être en aucun sens de vérité nécessaire ; que la chiile des corps pesans serait la suite d’une volonté immédiate et particulière du Créateur ; et que sans cette volonté expresse, un corps placé en l’air y resterait en repos. La multitude, il est vrai, accoutumée à voir tomber un corps dès qu’il n’est pas soutenu, croit que cette seule raison suflit pour obliejer le corps à descendre. Mais il est facile de détruire ce préjugé par une réflexion bien simple. Supposons un corps placé sur une table horizontale : pourquoi ne se meut-il pas horizontalement le long de la table, puisque rien ne l’en empêche ? Pourquoi ne se meut-il pas de bas en haut, puisque rien ne s’oppose à son mouvement en ce sens ? Pourquoi enfin se meut-il de haut en bas préférablement à toute autre direction, puisque par lui-même il est évidemment indifférent à se mouvoir dans un sens plutôt que dans un autre ? Ce n’est donc pas sans raison que les philosophes s’étonnent de voir tomber une pierre ; et ce phénomène si commun est en effet un des plus surprenans que nous présente la nature.

La manière dont agit cette force inconnue, qui fait tomber les corps vers la terre, n’est guère plus facile à concevoir que la force même. Tous les philosophes paraissent convenir que la vitesse avec laquelle les corps qui tombent commencent à se mouvoir, est absolument nulle ; pourquoi donc quand on soutient un corps pesant qui tend à tomber, éprouve-t-on une résistance qu’on n’éprouve point dans tout autre sens que le sens vertical ? On dira peut-être que dans les instans qui suivent le premier, la vitesse avec laquelle le corps tend à descendre, augmentera et deviendra finie, au lieu que dans tout autre sens elle demeure toujours nulle, le corps n’ayant aucune tendance à se mouvoir que dans le seul sens vertical. On peut, je le veux, expliquer par là pourquoi un corps pesant qu’on soutient, tombera si on l’abandonne à lui-même : mais on n’explique pas encore une fois pourquoi on ne peut le soutenir sans effort. Car la vitesse finie que le corps doit acquérir dans les instans qui suivront le premier moment de la chute, n’existe pas encore en ce premier moment, qui est celui oii l’on soutient le corps ; elle ne peut donc produire aucune résistance à vaincre. Dira-t-on que la vitesse avec laquelle les corps pesans tendent à descendre au premier instant, n’est pas absolument nulle, mais seulement