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DE PHILOSOPHIE.

montrer l’unité de la loi d’équilibre par un autre raisonnement, trop mathématique pour être développé dans cet essai, mais que j’ai tâché de rendre sensible dans un autre ouvrage[1].

De toutes ces réflexions il s’ensuit que les lois connues de la statique et de la mécanique, sont celles qui résultent de l’existence de la matière et du mouvement. Or l’expérience nous prouve que ces lois s’observent en effet dans les corps qui nous environnent. Donc les lois de l’équilibre et du mouvement, telles que l’observation nous les fait connaître, sont de vérité nécessaire. Un métaphysicien se contenterait peut-être de le prouver, en disant qu’il était de la sagesse du Créateur et de la simplité de ses vues, de ne point établir d’autres lois de l’équilibre et du mouvement, que celles qui résultent de l’existence même des corps, et de leur impénétrabilité mutuelle. Mais nous avons cru devoir nous abstenir de cette manière de raisonner, parce qu’il nous a paru qu’elle porterait sur un principe trop vague ; la nature de l’Être suprême nous est trop cachée, pour que nous puissions connaître directement ce qui est ou n’est pas conforme aux vues de sa sagesse ; nous pouvons seulement entrevoir les effets de cette sagesse dans l’observation des lois de la nature, lorsque le raisonnement mathématique nous aura fait voir la simplicité de ces lois, et que l’expérience nous en aura montré les applications et l’étendue.

Cette réflexion peut servir, ce me semble, à nous faire apprécier les démonstrations que plusieurs philosophes ont données des lois du mouvement d’après le principe des causes finales, c’est-à-dire d’après les vues que l’auteur de la nature a dû se proposer en établissant ces lois. De pareilles démonstrations ne peuvent avoir de force, qu’autant qu’elles sont précédées et appuyées par des démonstrations directes et tirées de principes qui soient plus à notre portée ; autrement il arriverait souvent qu’elles nous induiraient en erreur. C’est pour avoir suivi cette route, pour avoir cru qu’il était de la sagesse du Créateur de conserver toujours la même quantité de mouvement dans l’univers, que Descartes s’est trompé sur les lois de la percussion. Ceux qui l’imiteraient courraient risque, ou de se tromper comme lui, ou de donner pour un principe général ce qui n’aurait lieu que dans certains cas, ou enfin de regarder comme une loi primitive de la nature, ce qui ne serait qu’une conséquence purement mathématique de quelques formules.

Quand on demande au reste si les lois du mouvement sont de vérité nécessaire, il n’est question que de celles par lesquelles le mouvement se communique d’un corps à un autre ; et nullement

  1. Traité de Dynamique, art. 46 et 47.