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ÉLÉMENS

simplicité dont elles sont susceptibles, est de les déduire toujours de la considération seule du mouvement, envisagé de la manière la plus simple et la plus claire. Tout ce que nous voyons bien distinctement dans le mouvement d’un corps, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, c’est qu’il parcourt un certain espace, et qu’il emploie un certain temps à le parcourir. C’est donc de cette seule idée qu’on doit tirer tous les principes de la mécanique, quand on veut les démontrer d’une manière nette et précise ; en conséquence de cette réflexion, le philosophe doit, pour ainsi dire, détourner la vue de dessus les causes motrices, pour n’envisager uniquement que le mouvement qu’elles produisent ; il doit surtout entièrement proscrire les forces inhérentes au corps en mouvement, êtres obscurs et métaphysiques, qui ne sont capables que de répandre les ténèbres sur une science claire par elle-même.

C’est par cette même raison qu’il s’abstiendra d’entrer dans l’examen de la fameuse question des forces vives. Cette question qui, pendant trente ans, a partagé les géomètres, consiste à savoir si la force des corps en mouvement est, proportionnelle au produit de la masse par la vitesse, ou au produit de la masse par le carré de la vitesse : par exemple, si un corps double d’un autre, et qui a trois fois autant de vitesse, a dix-huit fois autant de force ou six fois autant seulement. Malgré les disputes que cette question a causées, l’inutilité parfaite dont elle est pour la mécanique, doit la bannir d’un livre d’élémens ; cependant le erand bruit qu’elle a fait, les hommes célèbres qui l’ont traitée, l’intérêt que les savans y ont pris, nous déterminent à exposer ici très-succinctement les principes qui peuvent servir à la résoudre.

Quand on parle de la force des corps en mouvement, ou l’on n’attache point d’idée nette au mot qu’on prononce, ou l’on ne peiit entendre parla, en général, que la propriété qu’ont les corps qui se meuvent, de vaincre les obstacles qu’ils rencontrent, ou de leur résister. Ce n’est donc ni par l’espace qu’un corps parcourt uniformément, ni par le temps qu’il emploie à le parcourir, ni enfin par la considération simple, unique et abstraite de sa masse et de sa vitesse, qu’on doit estimer immédiatement la force ; c’est uniquement par les obstacles qu’un corps rencontre, et par la résistance que lui font ces obstacles. Plus l’obstacle qu’un corps peut vaincre, ou auquel il peut résister, est considérable, plus on peut dire que sa force est grande ; pourvu que, srms vouloir représenter par ce mot un prétendu être qui réside dans le corps, on ne s’en serve que comme d’une manière abrégée d’exprimer un fait ; à peu près comme on dit qu’un corps a deux fois autant de vitessç qu’un autre, au lieu de dire qu’il par-