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DE PHILOSOPHIE.

nous saisissons le plus facilement ; et de l’autre il n’est point de rapports plus aisés à comparer entre eux, que des rapports égaux. Or, dans le mouvement uniforme, le rapport des parties du temps est égal à celui des parties correspondantes de la ligne parcourue. Le mouvement uniforme nous donne donc tout à la fois le moyen, et de comparer le rapport des parties du temps au rapport qui nous est le plus sensible, et de faire cette comparaison de la manière la plus simple ; nous trouvons donc dans le mouvement uniforme la mesure la plus simple du temps.

Je dis outre cela que la mesure du temps, par le mouvement uniforme, est, indépendamment de sa simplicité, celle dont il est le plus naturel de penser à se servir. En effet, comme il n’y a point de rapport que nous connaissions plus exactement que celui des parties de l’espace, et qu’en général un mouvement quelconque, dont la loi serait donnée, nous conduirait à découvrir le rapport des parties du temps, par l’analogie connue de ce rapport avec celui des parties de l’espace parcouru, il est clair qu’un tel mouvement serait la mesure du temps la plus exacte, et par conséquent celle qu’on devrait mettre en usage préférablement à toute autre. Donc, s’il y a quelque espèce particulière de mouvement, où l’analogie entre le rapport des parties du temps et celui des parties de l’espace parcouru, soit connue indépendamment de toute hypothèse et par la nature du mouvement même, et que cette espèce particulière de mouvement soit la seule à qui cette propriété appartienne, elle sera nécessairement la mesure du temps la plus naturelle. Or il n’y a que le mouvement uniforme qui réunisse les deux conditions dont nous venons de parler. Car le mouvement d’un corps est uniforme par lui-même : il ne devient accéléré ou retardé qu’en vertu d’une cause étrangère, et alors il est susceptible d’une infinité de lois différentes de variation. La loi d’uniformité, c’est-à-dire l’égalité entre le rapport des temps et celui des espaces parcourus, est donc une propriété du mouvement considéré en lui-même. Le mouvement uniforme n’en est par là que plus analogue à la durée, et par conséquent plus propre à en être la mesure, puisque les parties de la durée se succèdent aussi constamment et uniformément. Au contraire, toute loi d’accélération ou de diminution dans le mouvement est arbitraire, pour ainsi dire, et dépendante de circonstances extérieures. Le mouvement non uniforme ne peut être par conséquent la mesure naturelle du temps. Car, en premier lieu, il n’y aurait pas de raison pourquoi une espèce particulière de mouvement non uniforme fut la mesure première du temps plutôt qu’une autre. En second lieu, on ne pourrait mesurer le temps par un mouvement non uniforme, sans avoir