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DE PHILOSOPHIE.

reconnue de tous les philosophes. À l’égard de la nature du mouvement, les mêmes philosophes sont là-dessus fort partagés. Rien n’est plus naturel, sans doute, que de concevoir le mouvement comme l’application successive du mobile aux difler entes parties de l’espace indéfini, que nous imaginons comme le lieu des corps : mais cette idée suppose un espace dont les parties soient pénétrables et immobiles ; or personne n’ignore que les cartésiens (secte qui à la vérité n’existe presque plus aujourd’hui) ne reconnaissent point d’espace distingué des corps, et qu’ils regardent l’étendue et la matière comme une même chose. Il faut convenir qu’en partant d’un pareil principe, le mouvement serait la chose la plus difficile à concevoir, et qu’un cartésien aurait peut-être beaucoup plus tôt fait d’en nier l’existence que de chercher à en définir la nature. Néanmoins, quelque absurde que nous paraisse l’opinion de ces philosophes, et quelque peu de clarté et de précision qu’il y ait dans les principes métaphysiques sur lesquels ils s’efforcent de l’appuyer, nous n’entreprendrons point de la réfuter ici : nous nous contenterons, en nous attachant aux notions communes, de concevoir l’espace indéfini comme le lieu des corps, soit réel, soit supposé, et de regarder le mouvement comme le transport du mobile d’un lieu dans un autre.

La considération du mouvement entre quelquefois dans les recherches de géométrie pure ; ainsi on imagine souvent les lignes droites ou les courbes, comme engendrées par le mouvement continu d’un point, les surfaces par le mouvement d’une ligne, les solides enfin par celui d’une surface. Mais il y a entre la mécanique et la géométrie cette différence, non-seulement que dans celle-ci la génération des figures par le mouvement est, pour ainsi dire, arbitraire et de pure élégance, mais encore que la géométrie ne considère dans le mouvement que l’espace parcouru, au lieu que dans la mécanique on a de plus égard au temps que le mobile emploie à parcourir cet espace. (Voyez Éclaircissement, § XVI, page 315).

On ne peut comparer ensemble deux choses d’une nature différente, telles que l’espace et le temps : mais on peut comparer le rapport des parties du temps avec celui des parties de l’espace parcouru. Le temps par sa nature coule uniformément, et la mécanique suppose cette uniformité. Du reste, sans connaître le temps en lui-même, et sans en avoir de mesure précise, nous ne pouvons représenter plus clairement le rapport de ses parties, que par celui des portions d’une ligne droite indéfinie. On peut donc comparer le rapport des parties du temps à celui des parties de l’espace parcouru, comme ou compare en