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ÉLOGE.

pédie, contient des préceptes excellens sur les éloges historiques ; ces préceptes, dictés par la raison et par le goût, font sentir toute la difficulté de ce genre d’ouvrage, et doivent décourager ceux qui, honorés de cette fonction par une compagnie savante, sentent combien ils restent au-dessous et des leçons que leur donne d’Alenibert, et des exemples qu’il leur a tracés.

Les premiers éloges de d’Alembert sont écrits d’un style clair et précis, tantôt énergique, tantôt piquant et plein de finesse, mais toujours noble, rapide, soutenu. Dans ceux qu’il a faits pour l’histoire de l’Académie Française, il s’est permis plus de simplicité, de familiarité même ; des traits plaisans, des mots échappés à ceux dont il parie, ou dits à leur occasion, un grand nombre d’anecdotes propres a peindre ou les hommes ou les opinions de leur temps, donnent à ces ouvrages un autre caractère ; et le public, après avoir encouragé cette liberté par des applaudissemens multipliés, parut ensuite la désapprouver. Nous osons croire qu’avant de prononcer si cette sévérité n’a pas été injuste, il faut avoir vu tout l’ouvrage ; en effet, si dans une suite d’éloges, ce ton familier rend la lecture de la collection plus facile ; si cette liberté d’entremêler des plaisanteries ou des anecdotes à des discussions philosophiques et littéraires, augmente l’intérêt et le nombre des lecteurs, alors il serait difficile de blâmer d’Alembert d’avoir changé sa manière ; d’ailleurs le ton dans les ouvrages, comme dans la société, doit naturellement changer avec l’âge ; on exige d’un jeune homme un maintien plus soigné, une attention sur lui-même toujours soutenue ; on pardonne à un vieillard plus de familiarité et de négligence ; on veut que l’un marque par toutes ses manières les égards qu’il doit à ceux qui l’environnent ; on ne dejnande à l’autre que d’intéresser ou de plaire : ainsi, dans les premiers ouvrages d’un écrivain, on exige avec raison qu’il montre, par son attention à soigner, à soutenir son style, le désir qu’il a de mériter le suffrage de ses lecteurs : mais lorsque sa réputation est consommée, lorsque son âge et ses travaux lui ont donné le droit de regarder comme ses disciples une partie de ceux qui le lisent ou qui l’écoutent, alors il peut se négliger davantage, s’abandonner à tous ses mouvemens, et traiter ses lecteurs plutôt comme des amis que comme des juges.

Cet ouvrage sera un monument précieux pour l’histoire littéraire, et un de ces livres si rares, oii les hommes qui craignent l’application, mais qui aiment la vérité et les lettres, peuvent trouver des leçons utiles de philosophie et de goût.

On peut juger du caractère des grands hommes par la liste de leurs amis, et maliieureusement cette liste a paru prouver quelquefois qu’ils aimaient mieux des flatteurs que des amis véritables, comme si l’idée de l’égalité les eût fatigués ; cependant si l’on pénètre plus avant, si l’on va chercher jusqu’au fond de leur cœur le motif caché de cette préférence pour les hommes médiocres, peut-être s’apercevra-t-on que ce sentiment tient à une défiance secrète d’eux-mêmes, qu’ils n’osent avouer ; on verra que la plupart de ceux qui ont mérité ce reproche, avaient usurpé une partie de leur célébrité ; et on en pourra conclure qu’ils