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ÉLÉMENS

conduit à des conséquences qui ne le fussent pas. Un géomètre qui par de vaines subtilités métaphysiques obscurcirait la géométrie, mériterait d’être appelé le Scot des mathématiques, et avec bien plus de raison que les argumentateurs scolastiques ne méritent ce nom en philosophie ; car souvent ces derniers embrouillent par leurs subtilités ce qui était déjà très-obscur par soi-même ; celui-là embrouillerait par les siennes ce qui peut être réduit à des notions claires.

On trouvera, je pense, le caractère de lumière et de simplicité que nous désirons, dans les notions métaphysiques que nous avons données ci-dessus de la nature des opérations algébriques, de celle des rapports incommensurables, et surtout de celle des quantités négatives, sur lesquelles tant de géomètres demi-philosophes se sont formé des idées si fausses[1].

Mais c’est principalement dans le calcul infinitésimal que l’usage et l’abus de la métaphysique peuvent se faire également sentir. Nous le disons avec peine, et sans vouloir outrager les mânes d’un homme célèbre qui n’est plus ; il n’y a peut-être point d’ouvrage où l’on trouve des preuves plus fréquentes de l’abus dont nous parlons, que dans l’ouvrage très-connu de M. de Fontenelle, qui a pour titre : Élémens de la géométrie de l’infini ; ouvrage dont la lecture est d’autant plus dangereuse aux jeunes géomètres, que l’auteur y présente ses sophismes avec une sorte d’élégance, et, pour ainsi dire, de grâce, dont le sujet ne paraissait pas susceptible. Il semble que les ouvrages géométriques de ce philosophe soient destinés à produire, sur les jeunes gens qui entrent dans la carrière des sciences, le même effet que ses ouvrages de belles-lettres sur les jeunes littérateurs ; celui d’égarer les uns et les autres par des défauts d’autant plus propres à séduire, qu’ils se trouvent, et agréables par eux-mêmes, et joints d’ailleurs à des beautés réelles. La grande source des erreurs de M. de Fontenelle est d’avoir voulu réaliser l’infini, et conséquemment en faire la base réelle de ses calculs ; au lieu de le regarder, ainsi que nous l’avons fait[2], comme la limite à laquelle le fini ne peut jamais atteindre, et de chercher dans cette notion si simple et si vraie l’explication des paradoxes que les résultats de ce calcul semblent présenter. Voici le raisonnement de l’illustre secrétaire de l’Académie des sciences pour établir l’existence réelle de la grandeur infinie :

  1. J’ai donné dans mes Opuscules mathématiques, t. I, p. 204, la vraie raison, si je ne me trompe, du principe de la multiplication des signes dans les quantités négatives. Je ne connais aucun algébriste qui ait pensé à cette raison, que je crois cependant la véritable, ne fût-ce que par son extrême simplicité.
  2. Voyez l’éclaircissement sur les principes métaphysiques du calcul infinitésimal, dans le paragraphe procèdent.