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ÉLÉMENS

§ XV. Éclaircissement sur l’usage et sur l’abus de la métaphysique en géométrie, et en général dans les sciences mathématiques, page 276.

La métaphysique, selon le point de vue sous lequel on l’envisage, est la plus satisfaisante ou la plus futile des connaissances humaines ; la plus satisfaisante quand elle ne considère que des objets qui sont à sa portée, qu’elle les analyse avec netteté et avec précision, et qu’elle ne s’élève point dans cette analyse au-delà de ce qu’elle connaît clairement de ces mêmes objets ; la plus futile, lorsque, orgueilleuse et ténébreuse tout à la fois, elle s’enfonce dans une région refusée à ses regards, qu’elle disserte sur les attributs de Dieu, sur la nature de l’âme, sur la liberté, et sur d’autres sujets de cette espèce, où toute l’antiquité philosophique s’est perdue, et ou la philosophie moderne ne doit pas espérer d’être plus heureuse. C’est de cette science de ténèbres qu’un grand monarque disait il y a peu de temps, dans une lettre digne d’être lue par tous les philosophes et par tous les rois : Il n’y a point assez de données en métaphysique ; nous créons les principes que nous appliquons à cette science, et ils ne nous servent qu’à nous égarer plus méthodiquement ; ce qui me persuade de plus en plus que la façon dont existe l’Être suprême, la manière dont cet univers a été formé, la nature de ce qui se passe en nous, sont des choses qu’il ne nous importe pas de connaître, sans quoi nous les connaîtrions. Pourvu que l’homme sache distinguer le bien et le mal, qu’il ait un penchant déterminé pour l’un et de l’aversion pour l’autre ; pourvu qu’il soit assez maître de ses passions pour qu’elles ne le tyrannisent pas, et ne le précipitent point dans l’infortune, c’est, je crois, assez pour le rendre heureux ; le reste des connaissances métaphysiques, dont on s’efforce en vain d’arracher le secret à la nature, ne nous servirait qu’à contenter notre curiosité insatiable, autant qu’elles seraient d’ailleurs inutiles à notre usage ; l’homme jouit, il est fait pour cela ; que lui faut-il davantage ?

Ce n’est donc pas de cette métaphysique couverte de nuages qu’il sera question ici, mais d’une métaphysique plus faite pour nous, plus terre à terre, de celle qu’on peut porter dans les sciences naturelles, et principalement dans la géométrie et les diiféreutes parties des mathématiques.

À proprement parler, il n’y a point de science qui n’ait sa métaphjsique, si on entend par ce mot les principes généraux sur lesquels une science est appuyée, et qui sont comme le germe des vérités de détail qu’elle renferme et qu’elle expose ; principes d’oii il faut partir pour découvrir de nouvelles vérités