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DE D’ALEMBERT.

distractions, ni la faiblesse de sa santé, ni ses infirmités n’interrompirent jamais, qu’il suivait encore, il n’y a pas une année (1782), au milieu de ses douleurs, et qui ont produit à cette époque un nouveau volume d’opuscules, ou l’on retrouve son génie et cette même finesse, ce même esprit philosophique qui caractérisent toutes ses productions.

Le goût très-vif qu’il avait eu pendant quelque temps pour la littérature et pour la philosophie, n’avait point affaibli sa première passion ; ses ouvrages mathématiques étaient les seuls auxquels il attachât une importance sérieuse ; il disait, il répétait souvent qu’il n’y avait de réel que ces vérité, et tandis que les savans lui reprochaient son goût pour la littérature, et le prix qu’il mettait à l’art d’écrire, souvent il offensait les littérateurs, en laissant échapper son opinion secrète sur le mérite ou l’utilité de leurs travaux.

L’académie des sciences a souvent profité de ces mêmes talens qu’on lui faisait un reproche d’avoir cultivés : dans ces assemblées solennelles, où des souverains sont venus au milieu de nous rendre hommage aux sciences, et recevoir celui de notre reconnaissance pour l’intérêt qu’ils prennent à leurs progrès, d’Alembert a été plus d’une fois l’organe de cette compagnie ; les circonstances où il est permis de dire des vérités aux princes sont si rares, que d’Alembert n’en laissait point alors échapper l’occasion ; il savait exprimer avec force celles qu’il était temps de prononcer, et faire entendre avec finesse d’autres vérités plus contraires aux opinions communes, mais aussi dont il croyait plus utile que les rois fussent convaincus ; il avait l’art de plaire aux princes qui l’écoutaient, en défendant devant eux la cause de l’humanité, et savait leur rendre les sciences respectables, en leur montrant que leur gloire véritable, leur puissance, leur sûreté même dépendent, plus qu’on ne croit, de l’instruction répandue dans toutes les classes de leurs sujets, et que, par une révolution dont l’origine remonte à l’invention de fimprimerie, et dont rien ne peut plus arrêter les progrès, la force, les richesses, la félicité des nations sont devenues le prix des lumières.

En 1772, d’Alemhert fut nommé secrétaire de l’Académie Française, dont il était membre depuis 1754, et il s’imposa un devoir que ses prédécesseurs avaient jusqu’alors négligé, celui de continuer l’histoire de cette compagnie. Il s’engagea donc à écrire la vie de tous les académiciens morts depuis 1700 jusqu’en 1772 ; l’obscurité de quelques uns, l’esprit de parti qui exagérait ou rabaissait la réputation de plusieurs, le contraste du jugement de la postérité et de l’opinion des contemporains, la grande variété des talens par lesquels chacun d’eux s’était distingué, toutes ces difficultés auraient pu arrêter un écrivain moins zélé pour la gloire de l’Académie, ou moins sûr de les vaincre ; elles ne firent qu’exciter l’ardeur de d’Alembert, et dans l’espace de trois ans, près de soixante-dix éloges furent achevés. Il s’était auparavant exercé dans le même genre ; les éloges de Jean Bernoulli et de l’abbé Terrasson avaient même été ses premiers essais ; celui de Montesquieu était digne de l’homme illustre à qui ce monument était consacré. L’article éloge, dans l’Encyclo-