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ÉLÉMENS

soit le plus court ? Pourquoi ne pourrait-il pas y en avoir plusieurs, tous différens, tous égaux, et tous les plus courts ? On n’est persuadé de la vérité contraire, et on ne la suppose dans la définition de la ligne droite, que parce qu’on a déjà dans l’esprit ou plutôt dans les sens, si je puis parler de la sorte, une notion de la ligne droite qui renferme implicitement cette vérité. C’est cette notion qu’il faudrait exprimer ; mais les termes, et peut-être les idées, nous manquent pour cela. Hoc opus, hic labor est.

En second lieu, supposons qu’en effet la ligne droite soit le plus court chemin d’un point à un autre, que ce plus court chemin oit unique, et qu’il n’y en ait pas deux égaux ; je vois clairement comment on peut conclure de là, que si on veut mener une ligne droite d’un point à un autre, tous les points par lesquels doit passer cette ligne, sont nécessairement donnés, et que la ligne qui joint deux quelconques de ces points, est aussi la plus courte qu’on puisse mener ou imaginer de l’un à l’autre. Mais je ne vois pas avec la même évidence, en parlant de la définition supposée, qu’une ligne droite, tirée par deux points, ne puisse être prolongée que d’une seule manière, ou ce qui revient au même, que deux lignes droites, tirées d’un même point à deux autres points, ne puissent pas avoir une partie commune : je ne dis pas que cela ne soit évident, je dis (et je me flatte qu’on en conviendra après y avoir fait attention) que cela ne suit pas évideminent de la définition supposée, mais d’une notion primitive de la ligne droite que nous avons dans l’esprit, sans pouvoir en quelque façon la rendre par des expressions ; idée dont la définition supposée n’est que la suite.

La définition et les propriétés de la ligne droite, ainsi que des lignes parallèles, sont donc l’écueil, et, pour ainsi dire, le scandale des élémens de géométrie. Je ne crains point que les mathématiciens philosophoo taxent de puérilité les réflexions que je viens de faire, puisqu’elles ont pour objet, non-seulement de porter la plus grande précision dans une science dont la précision est l’âme, mais de montrer par des exemples frappans la nécessité et la rareté des bonnes définitions.

On peut faire sentir l’un et l’autre par un nouvel exemple, tiré des mêmes élémens de géométrie, par la définition de l’angle. Pour s’en former une idée nette, il faut nécessairement, et y faire entrer l’idée de l’espace que l’angle renferme, et en même lemps borner cet espace ; puisque autrement la grandeur de l’angle dépendrait de celle des lignes qui le comprennent, ce qui est contraire à la vraie notion qu’on doit s’en former. Il faut donc supposer un arc de cercle décrit du sommet de l’angle comme centre, et d’un rayon pris à volonté, mais qui soit ton-