Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/317

Cette page n’a pas encore été corrigée
277
DE PHILOSOPHIE.

de combinaison, mais de combinaison scrupuleuse et lent, qui examine l’une après l’autre toutes les parties de son objet, qui les compare successivement entre elles, qui prend garde de n’en omettre aucune, et de les rapprocher par toutes leurs faces ; en un mot, qui ne fait qu’un pas à la fois, et qui a soin de le bien assurer avant que de passer au suivant. L’esprit du jeu est un esprit de combinaison rapide, qui embrasse d’un coup d’œil et comme d’une manière vague un grand nombre de cas, dont quelques uns même peuvent lui échapper, parce qu’il est moins assujèti à des règles qu’il n’est une espèce d’instinct perfectionné par l’habitude. D’ailleurs le géomètre peut se donner tout le temps nécessaire pour résoudre ses problèmes ; il fait un effort, se repose, et repart de là avec de nouvelles forces ; le joueur est obligé de résoudre ses problèmes sur-le-champ, et de faire dans un temps fixé et très-court tout l’usage possible de son esprit. Il n’est donc pas surprenant qu’un grand géomètre soit souvent un joueur très-médiocre.

Nous n’examinerons point une autre question qui n’a qu’un rapport très-indirect à notre sujet ; si les mathématiques donnent à l’esprit de la dureté et de la sécheresse. Nous nous contenterons de dire que si la géométrie, comme on l’a prétendu avec assez de raison, ne redresse que les esprits droits, elle ne dessèche et ne refroidit aussi que les esprits déjà préparés à cette opération par la nature. Mais une autre question peut-être plus importante et plus difficile, c’est de savoir quel genre d’esprit doit obtenir par sa supériorité le premier rang dans l’estime des hommes ; celui qui excelle dans les lettres, ou celui qui se distingue au même degré dans les sciences. Cette question est décidée tous les jours en faveur des lettres, à la vérité sans intérêt, par une foule d’écrivains subalternes, incapables, je ne dis pas d’apprécier Corneille et de lire Newton, mais de juger Campistron et d’entendre Euclide. Pour nous, plus timides ou plus justes, nous avouerons que la supériorité en ces deux genres nous paraît d’un mérite égal. D’ailleurs, si le littérateur et le bel-esprit du premier ordre a plus de partisans parce qu’il a plus de juges, celui qui recule les limites des sciences a de son côté des juges et des partisans plus éclairés. Qui aurait à choisir d’être Newton ou Corneille ferait bien d’être embarrassé, ou ne mériterait pas d’avoir à choisir.

§ XII. Éclaircissement sur les élémens de Géométrie.

Nous avons déjà donné dans le § IV des Éclaircissemens.