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ÉLÉMENS

servir à démontrer des vérités dont on était déjà certain par d’autres principes. C’était le moyen de rendre ces vérités douteuses, si elles avaient pu le devenir. On a regardé comme réellement existans dans la nature les infinis et les infiniment petits de différens ordres ; il était néanmoins facile de réduire cette manière de s’exprimer à des notions communes, simples et précises. Si les principes du calcul de l’infini ne pouvaient être soumis à de pareilles notions, comment les conséquences déduites de ces principes par le calcul, pourraient-elles être certaines ? Cette philosophie obscure et contentieuse, qu’on a cherché à introduire dans le siège même de l’évidence, est le fruit de la vanité des auteurs et des lecteurs. Les premiers sont flattés de pouvoir répandre un air de mystère et de sublimité sur leurs productions ; les autres ne haïssent pas l’obscurité, pourvu qu’il en résulte une apparence de merveilleux ; mais le caractère de la vérité est d’être simple.

Au reste, en supposant même que les principes métaphysiques dont on peut faire usage en géométrie, soient revêtus de toute la certitude et la clarté possible, il n’y a guère de propositions géométriques qu’on puisse démontrer rigoureusement avec le seul secours de ces principes Presque toutes demandent, si on peut parler de la sorte, la toise ou le calcul, et quelquefois l’un et l’autre. Cette manière de démontrer paraîtra peut-être bien matérielle à certains esprits ; mais c’est presque toujours la seule qui soit sûre pour arriver à des combinaisons et à des résultats exacts. (Voyez Éclaircissement, § XV, pag. 294.)

Il semble que les grands géomètres devraient être excellens niétaphysiciens, au moins sur les objets dont ils s’occupent ; cependant il s’en faut bien qu’ils le soient toujours. La logique de quelques uns d’entre eux est renfermée dans leurs formules, et ne s’étend point au-delà. On peut les comparer à un homme qui aurait le sens de la vue contraire à celui du toucher, ou dans lequel le second de ces sens ne se perfectionnerait qu’aux dépens de l’autre. Ces mauvais métaphysiciens, dans une science où il est si facile de ne le pas être, le seront à plus forte raison infailliblement, comme l’expérience le prouve, sur les matières où ils n’auront point le calcul pour guide. Ainsi la géométrie qui mesure les corps, peut servir en certains cas à mesurer les esprits même.

Non-seulement l’esprit métaphysique et l’esprit géomètre ne se rencontrent pas toujours ensemble, il y a même moins d’union et d’affinité qu’on ne s’imagine entre deux genres d’esprit que Je vulgaire croit être fort analogues, celui du jeu et celui de la géométrie. L’esprit géomètre est sans doute un esprit de calcul et