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DE PHILOSOPHIE.

peine à se frayer eux-mêmes ; ou peut-être frappés encore de la multitude et de la nature des obstacles qu’ils ont surmontés, ils redoutent le travail qui serait nécessaire pour les aplanir, et que la multitude sentirait trop peu pour leur en tenir compte. Uniquejnent occupés de faire de nouveaux progrès dans l’art, pour s’élever, s’il leur est possible, au-dessus de leurs prédécesseurs et de leurs contemporains, et plus jaloux de l’admiration que de la reconnaissance publique, ils ne pensent qu’à découvrir et à jouir, et préfèrent la gloire d’augmenter l’édifice au soin d’en éclairer l’entrée. Ils pensent que celui qui apportera comme eux, dans l’étude des sciences, un génie fait pour les approfondir, n’aura pas besoin d’autres éîémens que de ceux qui les ont guidés eux-mêmes ; qu’en lui la nature et les réflexions suppléeront aux livres ; et qu’il est inutile de faciliter aux esprits lents et communs des connaissances qu’ils ne pourront jamais se rendre propres, puisqu’ils n’y pourront rien ajouter. Un peu plus de réflexion eût fait sentir combien cette manière de penser est nuisible à la gloire et au progrès des sciences ; à leur gloire, parce qu’en les mettant à portée d’un plus grand nombre de personnes, on se procure un plus grand nombre de juges éclairés ; à leur progrès, parce qu’en facilitant aux génies heureux l’étude de ce qui est connu, on les met en état d’aller plus loin et plus vite. Tel est l’avantage que produiraient de bons élémens de chaque science, élémens qui ne peuvent être l’ouvrage que d’une main fort habile et fort exercée. En effet, si on n’est pas parfaitement instruit des vérités de détail qu’une science renferme, si par un fréquent usage on n’a pas aperçu la dépendance mutuelle de ces vérités, comment distinguera-t-on les propositions fondamentales dont elles dérivent, l’analogie ou la différence de ces propositions fondamentales, l’ordre qu’elles doivent observer entre elles, et surtout les principes au-delà desquels on ne doit pas remonter ? C’est ainsi qu’un chimiste ne parvient à connaître les mixtes, qu’après des analyses fréquentes, et des combinaisons variées en toutes sortes de manières. La comparaison est d’autant plus juste, que ces analyses apprennent au chimiste non-seulement quels sont les principes dans lesquels un corps se résout, mais encore, ce qui n’est pas moins important, les bornes au-delà desquelles il ne peut se résoudre.

Les élémens de géométrie conduisent immédiatement à la géométrie des courbes, c’est-à-dire de toutes les courbes différentes du cercle. Car le cercle est la seule figure curviligne dont il soit question dans les éîém.ens de géométrie, à cause de la facilité de sa description, et de l’usage qu’on en fait pour résoudre la plupart des problèmes de la géométrie élémentaire.