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ÉLÉMENS

idée négative, puisque nous ne le concevons que par la ne’gatiou du fini ; le mol même d’infini en est la preuve.

Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent sur la manière de bien traiter les élémens de géométrie, doit nous faire conclure que de tels élémens ne sont pas l’ouvrage d’un géomètre ordinaire ; qu’il n’y a même aucun géomètre au-dessus d’une pareille entreprise, et que les Descartes, les Newton, les Leibnitz n’eussent pas été de trop pour la bien exécuter. Cependant il n’y a peut-être point de science dans laquelle on ait tant multiplié les élémens, sans compter ceux dont nous serons sans doute accablés encore ; et on peut remarquer que parmi cette multitude de géomètres élémentaires, il n’y en a presque pas un qui, dans sa préface, ne dise plus ou moins de mal de ses prédécesseurs. Un ouvrage en ce genre, qui serait au gré de tout le monde, est encore à faire ; mais c’est peut-être une entreprise chimérique que de prétendre faire au gré de tout le monde un pareil ouvrage. Les différentes vues dans lesquelles on peut étudier les élémens de géométrie, rendent ces élémens susceptibles de différentes formes dont chacune peut avoir son avantage. Il ne s’agit ici que de savoir quelle est la meilleure qu’on puisse leur donner dans des élémens de philosophie ; et c’est sur quoi nous avons taché de proposer nos vues.

Mais ce qui rend la plupart des élémens de géométrie si défectueux, c’est moins encore le plan suivant lequel on les traite, que l’incapacité de ceux qui l’exécutent. Ces élémens sont pour l’ordinaire l’ouvrage des mathématiciens médiocres, dont les connaissances finissent où se termine leur livre, et qui par cela même sont incapables de faire en ce genre un livre utile. Car il ne faut pas s’imaginer que pour avoir effleuré les principes d’une science, on soit en état de l’enseigner. C’est à ce préjugé, fruit de la vanité et de l’ignorance, qu’on doit attribuer l’extrême disette où nous sommes presque en chaque science de bons élémens. L’élève à peine sorti des premiers sentiers, encore frappé des difficultés qu’il a éprouvées, et que souvent même il n’a surmontées qu’en partie, entreprend de les faire connaître et surmonter aux autres. Censeur et plagiaire tout ensemble de ceux qui l’ont précédé, il copie, transforme, étend, renverse, resserre, obscurcit, prend ses idées informes et confuses pour des idées claires, et l’envie qu’il a d’être auteur pour le désir d’être utile. C’est un homme qui ayant parcouru un labyrinthe à tâtons, croit pouvoir en donner le plan. D’un autre côté, les maîtres de l’art, qui par une étude longue et assidue en ont vaincu les difficultés et connu les finesses, dédaignent de revenir sur leurs pas pour faciliter aux autres le chemin qu’ils ont eu tant de