Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée
269
DE PHILOSOPHIE.

la géométrie usuelle, ne sont ni parfaitement droites, ni parfaitement courbes, les surfaces ne sont ni parfaitement planes, ni parfaitement curvilignes ; mais il est nécessaire de les supposer telles, pour arriver à des vérités fixes et déterminées dont on puisse faire ensuite l’application plus ou moins exacte aux lignes et aux surfaces physiques.

Ces réflexions suffiront pour répondre à deux espèces de censeurs de la géométrie ; les uns, ce sont les sceptiques, accusent les théorèmes mathématiques de fausoelé, comme supposant oe qui n’existe pas ; les autres, ce sont les physiciens iguorans en mathématique, regardent les vérités de géométrie comme fondées sur des hypothèses arbitraires, et comme des jeux d’esprit qui n’ont point d’application. L’usage qu’on fait tous les jours de la géométrie spéculative pour résoudre les questions de géométrie pratique, doit fermer la bouche aux uns et aux autres.

La seule manière de bien traiter les élémens d’une science exacte et rigoureuse, c’est d’y mettre toute la rigueur et l’exactitude possible. Nous doutons, par cette raison, si on doit absolument suivre dans des élémens de géométrie la méthode des inventeurs. Une telle méthode engage presque nécessairement à supposer comme vraies différentes propositions que les inventeurs ont aperçues comme d’un coup d’œil, mais dont la démonstration est nécessaire en rigueur géométrique.

Il n’en est pas de même de l’algèbre. Comme c’est une science purement intellectuelle et abstraite, dont l’objet n’existe point hors de nous, non-seulement on peut la traiter d’une manière également facile et rigolireuse en s’assujétissant à la marche des inventeurs, mais c’est la meilleure méthode qu’on puisse employer pour développer les élémens de cette science. Il suffit pour cela de suivre l’ordre naturel des opérations de l’esprit, en s’épargnant seulement les tentatives inutiles ou fausses, que tout inventeur fait presque nécessairement avant d’arriver au but qu’il se propose.

Nous sommes pourtant bien éloignés de désapprouver sans restriction l’usage qu’on peut faire dans des élémens de géométrie de la méthode des inventeurs. Comme elle a le précieux avantage de piquer la curiosité, de faire pressentir à chaque pas celui qui doit suivre, et de ne point effrayer l’esprit par un appareil trop scientifique, nous la croyons très-propre à ceux qui n’ont pas pour but de se rendre profonds mathématiciens ; mais les esprits que la nature a destinés à faire des progrès dans cette science, doivent préférer la méthode rigoureuse.

Cependant, pour arriver à cette rigueur exacte, il ne faut pas chercher une rigueur imaginaire. Nous avons déjà vu de quelle