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DE PHILOSOPHIE.

manière de s’énoncer serait défeclueuse, l’une quant à l’ordre grammatical des mots, l’autre quant à l’ordre des idées ; que la seuie énonciation parfaite serait celle où ces deux différens ordres seraient parfaitement d’accord entre eux ; et qu’il faudrait choisir dans chacune des deux langues une manière de s’exprimer qui conciliât l’arrangement grammatical avec l’ordre des idées.

S’il n’était pas possible de trouver une telle manière de s’exprimer, il faudrait regarder cet inconvénient comme un défaut de la langue dans laquelle on parlerait.

Enfin s’il n’était possible d’exprimer les idées d’une manière conforme à leur ordre naturel, qu’en nuisant à la vivacité, à l’harmonie, ou à quelqu’autre qualité oratoire du discours, ce serait encore un défaut de la langue, moindre à la vérité que dans le cas où il serait impossible de concilier les deux arrangemens, mais toujours un défaut. Il ne resterait plus qu’à choisir entre l’un de ces deux inconvéniens inévitables, de sacrifier les qualités oratoires du discours à l’ordre naturel des idées, ou cet ordre aux qualités oratoires du discours. Le premier sacrifice appartient plus au philosophe, le second à l’orateur et au poète.

Voilà, ce me semble, ce qu’on peut dire de plus précis sur cette maîière si agitée dans l’inversion, pour distinguer et décider les différentes questions qu’elle renferme, soit par rapport à l’ordre des idées, soit par rapport à celui des mots. J’ai toujours remarqué que les difficultés de la plupart des questions sur lesquelles les philosophes se partagent, viennent de ce que ces questions en contiennent implicitement plusieurs autre — dont chacune demande une solution particulière : ce n’est qu’en partageant la question proposée dans toutes les questions qu’elle renferme, qu’on peut parvenir à la résoudre d’une manière précise.

Ce que nous venons de dire par rapport à Tinversion, nous conduira à quelques réflexions sur ce qu’on appelle le génie des langues, et sur les avantages ou désavantages réciproques qui peuvent en résulter par rapport aux langues comparées entre elles.

Qu’est-ce que le génie d’une langue ? C’est le résultat des lois auxquelles cette langue est assujétie, eu égard à la nature des mots qu’elle peut employer, aux modifications dont ces mots sont susceptibles, et enfin aux règles de construction qu’elle s’est prescrites. Des exemples éclairciront cette définition.

Voyons premièrement en quoi peut consister la différence des langues quant à la nature des mots. La langue française, par exemple, n’a que le pronom son, sa, ses, pour exprimer ce