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DE PHILOSOPHIE.

sionnément soit placé immédiatement après le verbe, ou après le régime ; dans le premier cas, passionnément est modificatif du verbe, dans le second il est modificatif de l’action totale représentée par le verbe et son régime.

On peut, ce me semble, déterminer par les principes que nous avons établis jusqu’à présent, les cas où il y a inversion, dans une phrase proposée en quelque langue que ce puisse être, et les cas où il n’y en a point. Examinons à présent une autre question, si l’arrangement qu’exige l’ordre grammatical n’est pas quelquefois contraire à l’ordre naturel que les idées devraient avoir, c’est-à-dire, pour nous exprimer avec précision, à l’ordre naturel dans lequel on doit les présenter aux autres ; car nous avons déjà remarqué que c’est sur cet ordre seul que doit se régler renonciation, et non sur l’ordre que les idées ont dans l’esprit.

Un exemple servira à faire mieux entendre la question dont il s’agit. Je veux dire à quelqu’un de fuir un serpent qui vient à lui ; l’ordre grammatical demande que je lui dise en français, fuyez le serpent ; et en latin, fuge serpentem, le verbe devant être placé avant son régime.

« Mais, dit-on, si je n’avais que des gestes ou des signes pour me faire entendre, je commencerais par montrer l’objet qu’il faut fuir, et faire ensuite le signe de la fuite ; il en serait de même si je n’avais qu’une langue fournie de mots, et dépourvue de syntaxe ; l’ordre naturel des mots, est donc le serpent fuyez, ou serpentem fuge ; par conséquent, l’ordre grammatical est ici contraire à l’ordre naturel ; ainsi il y a réellement inversion dans l’arrangement qui se conforme à la construction grammaticale, et il n’y en a point dans l’arrangement qui y est contraire. »

Examinons ce raisonnement dans toutes ses parties. Si dans les jugemens que nous voulons faire porter aux autres, il y avait en effet des idées qui dussent par leur nature ou parla circonstance être présentées les premières, et qui en même temps parla nature grammaticale des mots qui les expriment ne pussent être présentées qu’à la suite des autres, il est évident qu’alors l’ordre qu’exige la construction grammaticale, serait en contradiction avec l’ordre qu’exigerait renonciation ; en ce cas, pour ne pas tomber dans une dispute de mots, il faudrait distinguer deux sortes d’inversion, une dans les idées, et l’autre dans les termes qui les expriment, et remarquer le cas où, en évitant une de ces inversions, on tomberait nécessairement dans l’autre.

Mais en premier lieu, il paraît très-difficile d’assigner d’une manière évidente les idées qui doivent par leur nature ou par la