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ÉLÉMENS

grammatical, alors cet ordre est arbitraire, et de quelque manière qu’on s’y prenne, il n’y aura point d’inversion ; si je dis Dieu, bon, est, il n’y aura pas plus d’inversion que dans cette phrase Dieu est bon ; car le mot bon est déterminé par le mot Dieu, plus encore par le mot est ; et nous avons dit ci-dessus les raisons qui peuvent autoriser ces deux arrangemens. Néanmoins la grammaire française proscrit le premier, Dieu, bon, est. En voici la raison ; la nature de la langue française exige, comme nous l’avons vu, que dans un grand nombre de phrases, comme celle-ci, Alexandre vainquit Darius, le verbe soit placé après le nominatif et avant le régime, pour éviter toute équivoque dans le sens. Or cette règle, que la clarté du discours exige dans certamscas, a été étendue aux cas même oii la clarté du discours n’exige pas un tel arrangement ; et c’est pour cette seule raison, ce me semble, que des deux phrases. Dieu est bon, Dieu bon est, toutes deux également claires en elles-mêmes et également conformes à l’arrangement naturel des mots, la première est admise par la grammaire française, et la seconde proscrite.

Au contraire, dans les langues, comme dans la latine, où la clarté n’exige en aucun cas que le verbe soit immédiatement après le nominatif, et où l’on peut dire également Alexander vicit Darium, ou Alexander Darius vicit, on peut aussi dire également bien Deus est bonus, ou Deus bonus est.

II est vrai que l’ordre naturel de la construction, comme nous l’avons observé, demande dans le premier cas Alexander m’cit Darius, et qu’il semble que par analogie on devrait dire aussi Deus est bonus, en plaçant le verbe après le nominatif. Mais outre la raison tirée de l’ordre naturel de la construction, il y en a dans la française une déplus pour l’arrangement des mots, celle de la clarté dans un très —grand nombre de phrases ; c’est par cette dernière raison* que la langue française est assujétie dans toutes à une règle uniforme pour l’arrangement des mots ; règle dont la langue latine a cru pouvoir s’affranchir, parce que l’inversion n’y est pas, comme dans notre langue, l’ennemie fréquente de la clarté.

La grammaire française, qui exige par nécessité que le verbe soit placé avant le régime, et par analogie qu’il le soit avant l’adjectif, n’a point eu de raison semblable pour exiger que l’adverbe iVit placé après le verbe, ou après le régime du verbe. C’est pour cela que les deux phrases suivantes, cette femme aime passionnément son mari, ou cette femme aime son mari passionnément, sont égalemeat admises dans la langue française sans qu’il y ait d’inversion ni dans l’un ni dans l’autre cas ; parce que ni la métaphysique, ni la couslruclion grammaticale n’exigent que pas-