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DE PHILOSOPHIE.

palpable, je suppose que je commence la phrase fut vaincu ; il est évident que j’avais dans l’esprit, en commençant tette phrase, l’idée de Darius, ou de tel autre prince qui aurait été dans le même cas, au lieu que si j’ai l’idée de Darius ou de tel autre prince, cette idée n’emporte par elle-même ni celle de vaincu, ni aucune autre. Or les idées qui par elles-mêmes et par la nature des mots qui les expriment n’en supposent point nécessairement d’autre, doivent être placées les premières dans l’ordre de renonciation. Par la même raison, on doit placer les mots par Alexandre après les mots fut vaincu, parce que les mots par Alexandre, quand on les prononce, supposent nécessairement le verbe fut vaincu ou tel autre dont ils dépendent ; au contraire les mots fut vaincu ne supposent point nécessairement les mots par Alexandre ; car on pourrait dire Darius fut vaincu, sans y rien ajouter, et sans que la phrase fut incomplète ; au lieu que si on mettait à la tête de la phrase les mots fut vaincu, ou ceux-ci, par Alexandre, il est visible qu’elle serait incomplète, et ferait nécessairement attendre quelqu’autre chose.

Telle est, ce me semble, la raison métaphysique pour laquelle la construction et la syntaxe des langues étant supposée, le nominatif doit être placé avant le verbe, et le verbe avant son régime. Les mots doivent être placés dans un tel ordre, qu’en finissant la phrase oii l’on voudra, elle présente, autant qu’il est possible, un sens ou du moins une idée complète qui n’en suppose point nécessairement d’autre ; en sorte que les mots, à mesure qu’on les prononce, soient des modificatifs des mots qui les précèdent, et par conséquent supposent l’idée que les mots précédens expriment, sans que ces mots précédens supposent nécessairement l’idée que les modificatifs y ajoutent. Yoilà l’ordre naturel que les mots d’une phrase doivent observer entre eux. Toute construction qui s’éloignera de cet ordre est une inversion, au moins quant à la construction grammaticale.

La disposition mutuelle de ces mots, Alexandre vainquit Darius, Alexander vicit Darium est donc déterminée par le rapport grammatical, et la dépendance de construction que ces mots ont avec ceux qui les précèdent ; cet ordre n’est point déterminé par la nature des idées Alexandre, victoire, Darius ; en effet on dira également bien, Alexandre vainquit Darius, et Darius fut vaincu par Alexandre ; dans chacune de ces phrases les mots sont placés dans l’ordre naturel de la construction, quoique dans la première, l’idée d’Alexandre soit présentée d’abord, et que dans la seconde ce soit l’idée de Darius.

Lorsque l’ordre des mots n’est pas nécessité par leur rapport