Cet ordre, que les idées prises en masse doivent avoir dans l’énonciation, est tellement déterminé, et assujéti à des règles si invariables, qu’on en a fait l’objet d’une partie de la logique, appelée méthode. Il ne s’agit donc point ici de cet ordre qui ne peut guère souffrir de difficulté ; il s’agit de l’ordre des idées prises une à une, non-seulement dans chaque phrase en particulier, mais dans chaque membre de chaque phrase. Il s’agit, par exemple, de savoir si dans cette phrase, Dieu est bon, les trois idées qu’elle renferme. Dieu, est, bon, sont énoncées dans l’ordre où elles le doivent être.
Il semble d’abord que pour fixer l’ordre de renonciation des idées, ainsi prises une à une, il ne faut qu’examiner l’ordre que ces idées prises une à une ont dans l’esprit. Mais, comme nous l’avons déjà remarqué pages 237 et 238, cette route pour résoudre la question serait absolument illusoire, par la difficulté, et peut-être l’impossibilité de déterminer quel ordre les idées observent dans leur formation, et même si elles observent un ordre entre elles. Quand je pense qu’Alexandrie a vaincu Darius, ou que Darius a été vaincu par Alexandre, il me paraît évident que ces trois idées, d’Alexandre, de vaincu et de Darius me sont présentes à la fois. Il est au moins certain que si elles se succèdent, c’est avec une rapidité qui ne permet pas d’observer l’ordre qu’elles suivent ; il n’est pas moins évident qu’on ne saurait, par la nature de ces idées, assigner entre elles aucun ordre de priorité, puisqu’en supposant qu’elles se suivent, on peut imaginer que ce soit dans tel ordre qu’on voudra, par exemple, dans l’un de ceux-ci, tous également naturels ;
Alexandre, vainqueur, de Darius,
Darius, vaincu, par Alexandre ;
La victoire, d’Alexandre, sur Darius,
La défaite, de Darius, par Alexandre.
Mais si les trois idées de victoire, d’Alexandre et de Darius sont ou doivent être censées présentes à la fois à l’esprit de celui qui parle, il n’est pas possible, quand on veut les communiquer aux autres, de les leur présenter à la fois. Nous ne pouvons exprimer par un seul mot qu’Alexandre a vaincu Darius, comme nous le concevons par une opération en quelque manière indivisible de l’esprit ; il s’agit donc de savoir dans quel ordre nous devons énoncer ces trois idées, et s’il en est un qu’on doive préférer aux autres.
Pour nous faire mieux entendre, nous diviserons la question en deux parties. Nous supposerons d’abord que la langue n’ait aucune