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DE PHILOSOPHIE.

jets physiques différens du son, me permettront-ils de leur faire une question ? Je suppose qu’à l’Opéra on voie au fond du théâtre le soleil qui se lève et qui monte sur l’horizon en augmentant de lumière, et qu’en même temps l’orchestre exécute une symphonie sourde et sombre ; le spectateur ne dira-t-il pas que la musique est en contradiction avec ce qu’il voit ? N’en est-ce pas assez pour prouver qu’une musique opposée, une musique que nous appellerions brillante et harmonieuse, aurait en effet plus d’analogie, quant au sentiment qu’elle excite en nous, avec le spectacle que nos yeux considèrent en ce moment ?

Il est hors de doute d’ailleurs que la musique fait naître en nous des sentimens de joie, de douleur, de tendresse, etc., parce que l’expérience nous ayant prouvé qu’il y a des sons physiques ou des successions de sons capables de produire ces sentimens dans notre âme, la musique n’a rien autre chose à faire pour les exciter en nous que d’employer ces mêmes sons : or ne peut-elle pas parvenir de même à réveiller en nous la mémoire d’un objet physique différent du bruit, en réveillant en nous par le moyen des sons et par la dénomination que ces sons ont dans la langue, un sentiment semblable, ou du moins le plus approchant qu’il est possible de celui que cet objet y excite ?

J’ajouterai au reste que cette propriété, que nous remarquons ou au moins que nous supposons dans la musique, de nous rappeler l’idée de certains objets, n’est pas réciproque entre ces objets et la musique. Une succession de couleurs, par exemple, ne pourrait représenter ni rappeler une succession de sons, comme une certaine succession de sons peut nous retracer l’idée ou le souvenir de la lumière ; parce que la succession des couleurs présentées rapidement à nos yeux ou même présentées lentement, ne saurait, en tant que succession, nous procurer aucun plaisir ; au lieu que la succession des sons, en tant même que simple succession, nous en procure ; or la première condition est que nous recevions du plaisir par la sensation directe, avant que de chercher dans cette sensation la source d’un autre plaisir qu’elle ne peut nous procurer par elle-même, mais dont elle nous rappelle l’idée ou du moins le souvenir.

Terminons ici cette digression, qui n’a sans doute été que trop longue, et revenons à notre dictionnaire philosophique, où les différens sens d’un même mot seraient indiqués par les nuances consécutives qui tout à la fois les distinguent et les rapprochent. Je ne doute point que la plus grande partie des mots de la langue ne s’accommodât facilement au point de vue si lumineux et si utile sous lequel nous proposons ici de les envisager ; j’entrevois seulement qu’il y aurait un petit nombre de mots qui