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DE PHILOSOPHIE.

de toucher, puisqu’il s’opère par l’application immédiate de l’objet de la sensation sur l’organe de la sensation ; c’est pourquoi le mot goûter, en tant qu’il exprime une sensation, a dû être borne à son sens propre, à la sensation du goût ; si on disait goûter une résistance, on transporterait mal à propos à l’effet du toucher en général, ce qui est l’effet particulier d’une espèce de toucher exercé sur une certaine partie de notre corps : et pour s’assurer que c’est en efi’et par cette raison qu’on ne dit pas goûter une résistance, comme sentir une résistance, on n’a qu’à considérer que le mol sentir, qui s’applique au toucher en général, s’applique aussi à l’organe du goût, considéré tout à la fois et comme une espèce de toucher, et comme un sens qui examine et tâtonne aussi son objet ; car on dit très-bien sentir (quelque chose sur la langue ; une saveur qui se fait bien sentir, et ainsi du reste.

C’est vraisemblablement par une raison analogue à celle qui vient d’être rapportée, qu’on dit également bien une lumière éclatante, un son éclatant, et non une odeur, une saveur, une résistance éclatante, tandis qu’on dit également bien une lumière forte, un bruit fort, une odeur forte, une saveur forte, une résistance forte : le mot éclatant, destiné dans son sens propre à marquer l’impression subite et vive qu’une grande lumière fait sur nos yeux, s’est appliqué par extension à l’impression vive et subite que fait sur nos oreilles un grand bruit : cette impression dans les autres sens est moins subite et moins brusque, et presque toujours accompagnée d’une sorte de tâtonnement et d’examen ; au contraire l’idée de force n’emporte point celle d’une impression subite, mais seulement d’une impression considérable ; et voilà pourquoi elle s’applique également à tous les sens, parce que tous sont également susceptibles de ce genre d’impression. Voilà un faible essai de la manière dont on pourrait procéder dans le dictionnaire que nous proposons, pour trouver les raisons du sens attaché par extension à certains mots préferablement à d’autres.

Dans le dictionnaire dont il s’agit, on examinerait encore la raison de l’emploi d’un même mot pour exprimer des idées absolument différentes, non-seulement dans les objets intellectuels comparés aux objets sensibles, mais même dans les objets sensibles compares entre eux. Supposons qu’on se propose d’examiner l’analogie de ces phrases, l’éclat de la lumière, les éclats d’une bombe, du bois qui a éclaté. Sans être physicien ni philosophe, on regarde au moins confusément, l’éclat de la lumière comme produit par une espèce d’élancement rapide émané du corps lumineux, ou occasionné par la présence de ce corps : on