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DE PHILOSOPHIE.

mois de la langue, pris dans toutes les classes et tous les genres, peuvent fournir de pareils exemples.

Il faut remarquer encore que le sens propre des mots a un usage fixe, déterminé et unique, en sorte qu’il n’y a jamais qu’une seule espèce de phrase, ou l’on puisse employer ce sens propre ; au lieu que le sens par extension et le sens figuré peuvent avoir différentes acceptions, différentes nuances, se diversifier plus ou moins dans ces nuances et ces acceptions, et par conséquent entrer dans différentes sortes de phrases. Pour distinguer ces nuances et ces acceptions différentes, d’abord dans le sens par extension, ensuite dans le sens figuré, il faut commencer par définir les mots dans leur sens propre le plus restreint et le plus rigoureux, et parcourir ensuite par degrés toutes les nuances que ce premier sens a produites pour exprimer d’autres idées. Par exemple, donner s§niûe proprement et dans son sens primitif mettre quelque chose de sa main dans celle d’un autre : dans la phrase donner un écu à quelqu’un, donner est pris dans ce sens propre et primitif ; dans donner des coups d’épée, lesens propre et primitif commence à recevoir un peu plus d’extension, parce qu’on donne à la vérité de sa main, mais non plus dans celle d’un autre ; dans donner une maison encore davantage, parce qu’on ne donne plus ni de sa main, ni dans celle d’un autre ; dans donner ses ouvrages au public, encore davantage, parce que le public, l’être à qui l’on donne, n’est plus comme dans les exemples précédens, un individu physique, mais une collection d’individus qui est une espèce d’être abstrait ; enfin dans donner son estime y son affection, l’expression devient tout-à-fait figurée, parce que l’estime, l’affection, sont des êtres absolument métaphysiques et intellectuels. De même dans ces phrases, sentir une odeur, sentir de la résistance, sentir de la douleur y sentir de l’amour, sentir de l’amitié pour quelqu’un, sentir un affront y sentir la force d’un raisonnement ; voilà d’abord sentir dans son sens propre et primitif, sentir une odeur ; ensuite dans ses différens sens par extension, enfin dans ses différens sens figurés. Les sens par extension sont : sentir de la résistance, qui se rapporte comme dans le premier sens à un objet extérieur et sensible, mais différent, par sa nature et par son action, d’un corps odoriférant ; sentir de la douleur, qui exprime une sensation, mais une sensation dont l’objet peut ne pas exister hors de nous-mêmes ; de là le sens par extension s’unit au sens figuré dans sentir de l’amour, qui exprime à la fois une sensation et une affection de l’âme, et qui par la sensation appartient au sens par extension, et par l’affection de l’âme au sens figuré ; ensuite ce sens figuré se trouve seul dans sentir de l’amitié, qui