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ÉLÉMENS

plusieurs idées à la fois ; si le nombre de ces idées qui peuvent en même temps nous être présentes, est plus ou moins grand suivant le degré d’attention et la nature des esprits ; le moyen d’établir des règles lumineuses et générales sur l’ordre naturel des idées, et par conséquent sur celui des mots dans les ]ugemens que nous énonçons ? (Voyez Éclaircissement, § X, p. 246.)

Ces différentes questions sont les principaux points sur lesquels doit rouler la grammaire philosophique ; le reste doit être abandonné aux grammaires particulières de chaque langue.

§ IX. Éclaircissement sur ce qui est dit des différens sens dont un même mot est susceptible, page 236.

Les grammairiens distinguent ordinairement deux espèces de sens dans les mots ; le sens propre qui est leur signification originaire et primitive, et le sens figuré par lequel on détourne le premier sens, le sens propre, en l’appliquant à un objet auquel il ne convient pas naturellement : par exemple dans ces phrases, l’éclat de la lumière, et l’éclat de la vertu, éclat est d’abord pris dans son sens propre, et ensuite dans son sens figuré. Mais il y a, outre le sens propre et le sens figuré, un autre sens que j’appelle sens par extension, qui tient en quelque sorte le milieu entre ces deux-là. Ainsi quand je dis l’éclat de la lumière, l’éclat du son, l’éclat de la vertu ; dans la phrase l’éclat du son, le mot éclat est transporté par extension de la lumière au bruit, du sens de la vue auquel il est propre, au sens de l’ouïe auquel il n’appartient qu’improprement ; on ne doit pourtant pas dire que cette expression, l’éclat du son, soit figurée, parce que les expressions figurées sont proprement l’application qu’on fait à un objet intellectuel, d’un mot destiné à exprimer un objet sensible.

Voici encore un exemple simple, qui dans trois différentes phrases montrera d’une manière bien claire ces trois différens sens ; marcher après quelqu’un, arriver après l’heure fixée, courir après les honneurs : voilà après, d’abord dans son sens propre qui est celui de suivre un corps en mouvement ; ensuite dans son sens par extension, parce que dans la phrase, après l’heure, on regarde le temps comme marchant et fuyant, pour ainsi dire, devant nous ; enfin dans le sens figuré, courir après les honneurs, parce que dans cette phrase on regarde aussi les honneurs, qui sont un être abstrait, comme un être physique fuyant devant celui qui le désire, et cherchant à lui échapper. Une infinité de