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ÉLÉMENS

et de la métaphysique, et qui appartient essentiellement à l’une et à l’autre, c’est la grammaire ou l’art de parler. D’un côté la formation des langues est le fruit des réflexions que les hommes ont faites sur la génération de leurs idées ; et de l’autre le choix des mots par lesquels nous exprimons nos pensées, a beaucoup d’influence sur la vérité ou sur la fausseté des jugemens que nous portons, ou que nous faisons porter aux autres. Ainsi c’est principalement par rapport à l’art de raisonner, et à celui d’analyser nos idées, que le philosophe traite de la grammaire. Par conséquent il doit se borner aux principes généraux de la formation des langues ; principes dont les règles de chaque langue particulière sont des applications faciles, ou des exceptions bizarres qui n’ont d’autre raison que le caprice des instituteurs. Le grammairien philosophe traitera donc des différentes espèces de mots ; de ceux qui expriment des individus ; de ceux qui ne désignent que des êtres abstraits ; de ceux qui marquent les différentes manières d’être, les différentes vues sous lesquelles l’esprit peut envisager un objet ; de ceux qui expriment des idées simples, et qui par conséquent n’étant point susceptibles de définition, peuvent être regardés comme les racines philosophiques des langues, c’est-à-dire comme les termes primitifs et fondamentaux qui servent à expliquer tous les autres ; de la manière de reconnaître ces mots, et ceux qui renferment des idées composées ; du sens propre des mots et de leur sens figuré ou métaphorique ; de la nécessité de bien distinguer ces différens sens, pour éviter les erreurs où l’on s’expose quand on les confond ; enfin de la manière dont on peut apprendre les langues dans lesquelles on connaît un certain nombre de mots, en se servant de la signification connue de ces mots pour découvrir celle des autres. Car il n’est point de langue que nous ne puissions apprendre comme nous avons appris notre langue maternelle, dans laquelle il a fallu que nous trouvassions de nous-mêmes, sans le secours des maîtres ni des livres, le sens d’un très-grand nombre de mots, et en général de tous ceux qui n’expriment point des individus réels et physiques. C’est par des combinaisons plus ou moins réitérées, et quelquefois très-multipliées et très-fines, que nous sommes parvenus à connaître la signification de ces termes. Aussi le plus grand effort d’esprit est-il peut-être celui que nous faisons en apprenant à parler. L’homme le plus stupide en apparence y parvient néanmoins, et nous montre de quel degré de patience et de sagacité le besoin nous rend capables. (Voyez Éclaircissement, § IX, p. 238.)

Outre les différens sens dont un raêjne mot est susceptible, le grammairien philosophe traite aussi des différens mots suscep-