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ÉLÉMENS

l’Être suprême la vengeance et la mort. Ce qu’il y a cle singulier, et ce qu’il nous sera peut-être permis de remarquer en passant, comme une des plus étranges contradictions de l’esprit humain, c’est que les anciens Romains, après avoir assassiné leurs tyrans, ne refusaient point d’en faire des dieux ; ils plaçaient dans le ciel, avec les maîtres de l’univers, ceux qu’ils avaient crus indignes de vivre sur la terre avec les hommes. Il était décidé que le chef de l’Empire devait après sa mort être un dieu, n’eût-il été qu’un monstre durant sa vie : le tyrannicide en délivrait ; l’apothéose n’était qu’une vaine cérémonie qui, sans engager le peuple à rien, pouvait flatter sa vanité, Néron dieu nuisait moins à l’Empire que Néron homme.

X. MORALE DES ÉTATS.

Enfin chaque État, outre ses lois particulières, a aussi des lois à observer par rapport aux autres. Ces lois ne diffèrent point de celles que les membres d’une même société doivent observer mutuellement. La modération, l’équité, la bonne foi, les égards réciproques, en doivent être les grands principes. C’est là toute la base du droit des gens, et du droit de la guerre et de la paix. Cette morale, il est vrai, n’est pas fort utile, eu égard au peu de moyens qu’elle a pour se faire pratiquer. La morale de l’homme est assurée par les lois de chaque État qui veillent à ce qu’elle soit observée, et qui pour cela ont la force en main ; la morale des législateurs est appuyée sur la dépendance réciproque du gouvernement et des sujets ; mais les États sont les uns par rapport aux autres, à peu près comme les hommes dans l’état de pure nature ; il n’y a point pour eux d’autorité coactive, la force seule peut régler leurs différends. Un citoyen est obligé d’observer les lois, même quand on ne les observe pas à son égard, parce que ces lois se sont chargées de sa défense ; il ne saurait en être de même d’un État par rapport à un autre. Ainsi on punit les malfaiteurs, et on se soumet aux conquérans. Nous n’avons rien de plus à dire ici sur la morale des États. On sera peut-être étonné du peu d’étendue que nous lui donnons dans cet essai ; mais malheureusement pour le genre humain, elle est encore plus courte dans la pratique.

XI. MORALE DU CITOYEN.

La morale du citoyen vient immédiatement après celle des Etats. Elle se réduit à être fidèle observateur des lois civiles de sa patrie, et à se rendre le plus utile à ses concitoyens qu’il est possible.