Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/265

Cette page n’a pas encore été corrigée
225
DE PHILOSOPHIE.

particulière a une forme qui lui est propre ; et sa forme est principalement déterminée par deux choses, par la nature des lois particulières de chaque société, et par la nature de la puissance chargée de les faire observer. Cette puissance réside, ou dans le corps de l’État pris ensemble, ou dans une partie des citoyens, ou dans un seul : ce qui constitue les trois espèces de gouverneniens, démocratique, aristocratique et monarchique. Le détail de ce qui convient aux uns et aux autres n’appartient point à des élémens de morale : l’esquisse suivante offre les principaux points sur lesquels on doit s’arrêter.

D’un côté, les abus sont plus sujets à s’introduire, et plus difficiles à guérir dans un grand que dans un petit État ; mais de l’autre, un grand État a plus de ressources en lui-même pour sa conservation et pour sa défense. C’est donc une belle question de morale législative, que de savoir s’il est bon qu’il y ait de grands États, et quel est pour chaque État le degré d’étendue et le genre de gouvernement le plus convenable, suivant le caractère des peuples ?

Lorsque l’État en corps n’est pas dépositaire des lois, le corps particulier ou le citoyen qui en est chargé n’en est absolument que le dépositaire, et non le maître ; rien ne l’autorise à changer à son gré les lois. C’est en vertu d’une convention entre les membres que la société s’est formée ; et tout engagement a des liens réciproques. Telle est la morale de tous les rois justes. Il répugne en effet à la nature de l’esprit et du cœur humain qu’une multitude d’hommes ait dit sans condition à un seul ou à quelques uns : Commandez-nous, et nous vous obéirons.

Sans discuter les avantages réciproques du gouvernement républicain et du monarchique, la morale établit seulement que la meilleure république est celle qui, par la stabilité des lois et l’uniformité du gouvernement, ressemble le mieux à une bonne monarchie, et que la meilleure monarchie est celle où le pouvoir n’est pas plus arbitraire que dans la république.

Les devoirs mutuels du gouvernement et des membres sont le fondement de la véritable liberté du citoyen, qu’on peut définir la dépendance des devoirs, et non des hommes. Plus le principe du gouvernement s’éloigne de cet esjirit de liberté, plus l’Etat est voisin de sa ruine. Le despotisme porte en lui-même sa cause de destruction, parce qu’une troupe d’esclaves se lasse bientôt de l’être, ou se laisse facilement subjuguer par les États voisins. Le tyrannicide est hé du pouvoir arbitraire ; et les peuples que la religion n’a pas éclairés ont honoré ce crime comme une vertu ; mais la religion apprend aux chrétiens à regarder cette vie comme un état de souffrance, et à laisser à