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ÉLÉMENS

distinction, si essenlielie et si juste, fut bien connue de toutes les nations ! La religion chrétienne, qu’il est si important aux hommes de pratiquer, serait plus aisëe à leur faire connaître. Car la charité que cette religion même nous oblige d’avoir pour ceux qui ont le malheur de l’ignorer, n’exclut pas les voies de douceur par lesquelles elle doit s’insinuer dans les esprits. Bien loin de rejeter ces moyens de persuasion, elle les favorise et les prépare ; sa nature est sans doute de faire des prosélytes, mais sans y employer l’autorité coactive. Les récompenses et les distmctions sont le seul ressort dont les législateurs puissent se permettre de faire usage, pour mettre la véritable religion en honneur. Par ce moyen elle acquerra de jour en jour des sectateurs d’autant plus fidèles qu’ils seront volontaires. La persécution produirait un effet tout opposé. Dans le premier cas, la vanité seule, sans aucun effort, détache insensiblement les hommes de leurs opinions, dans l’autre au contraire elle les y attache.

L’application de ces principes doit principalement avoir lieu, lorsqu’il y a dans un État deux religions puissantes, rivales l’une de l’autre. Dans quelques gouvernemens on y a ajouté un autre moyen de miner insensiblement celle des deux religions qu’on veut affaiblir ; c’est d’ouvrir la porte à toutes les espèces de culte. Ainsi, disent les partisans de ce système, « pour prévenir ou faire cesser une inondation dans certains fleuves, on y ajoute de nouvelles eaux, qui creusent le lit et rendent le courant plus rapide ; au lieu de faire au fleuve des saignées, qui, en n’affaiblissant la rapidité des eaux, ne seraient propres qu’à augmenter le débordement. La rivalité de deux religions qui se disputent l’empire chez un peuple, est plus propre à y causer des désordres civils que le mélange de cent religions que l’État tolère toutes, et qui se méprisent mutuellement sans se craindre et sans se nuire. Aussi l’Angleterre, qui admet toutes les manières d’honorer Dieu qu’il a plu aux hommes d’inventer, ne connaît pas ces disputes funestes de religion dont tant d’autres peuples ont été la victime. » Nous n’examinerons pas si ce système a été en eftet utile à l’Angleterre ; mais il nous paraîtrait dangereux, et par rapport à la religion, et par rapport à la politique, d’en faire une règle générale.

L’intolérance en matière de religion (nous parlons toujours de l’intolérance qui persécute) est d’autant plus injuste dans son principe et dans ses effets, qu’en général les hommes sont assez portés d’eux-mêmes, ou à suivre la religion du pays qu’ils habitent, ou du moins à la respecter lorsqu’on ne les y force pas. Pour s’en convaincre, il suffit de faire attention à l’horreur que