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DE PHILOSOPHIE.

espèce de sacrifice que la société fait à son repos ; mais il serait juste o’e ioinflre à ce sacrifice une punition beaucoup plus severe de ceux qui gouvernent.

On peut distribuer les crimes en différentes classes ; dans la première sont ceux qui ôtent ou qui attaquent injustement la vie ; dans la seconde ceux qui attaquent l’honneur ; dans la troisième ceux qui attaquent les biens ; dans la quatrième ceux qui attaquent la tranquillité publique ; dans la cinquième ceux qui attaquent les mœurs. Les peines des crimes doivent leur être proportionnées ; ainsi ceux de la première espèce doivent être punis par des peines capitales, ceux de la seconde par des peines infamantes, ceux de la troisième par la privation des biens, ceux de la quatrième par l’exil ou la prison, ceux de la cinquième par la honte et le mépris public. Telles sont en général les maximes que le droit naturel prescrit sur cette matière, et qui ne doivent souffrir d’exceptions que le moins qu’il est possible. Car le crime doit être puni non-seulement à proportion du degré auquel le coupable a violé la loi, mais encore à proportion du rapport plus ou moins étroit, et plus ou moins direct de la loi au bien de la société. C’est la règle sur laquelle le législateur doit juger du degré d’énormité des crimes, et surtout de la distinction qu’on doit y apporter, en les envisageant soit par rapport à la religion, soit par rapporta la morale purement humaine. Par là on peut expliquer pourquoi le vol, par exemple, est puni par les lois beaucoup plus sévèrement que des crimes qui attaquent la religion aussi directement que le vol ; pourquoi la fornication, quoique beaucoup moins criminelle en elle-même que l’adultère caché, est cependant en un sens plus nuisible à la société humaine, puisqu’elle tend ou à multiplier dans l’Etat les citoyens malheureux et sans ressource, ou à faciliter la dépopulation par la ruine de la fécondité.

C’est ainsi que la morale législative décide quelle doit être la peine des crimes, eu égard à leur objet, à leur nature, aux circonstances dans lesquelles ils ont été commis, à la forme du gouvernement, au caractère de la nation. C’est en conséquence des mêmes principes qu’elle examine : Si dans la punition des crimes il n’est pas quelquefois nécessaire d’aller au-delà des limites que la loi naturelle semble prescrire, et dans quels cas le législateur y est obligé ; si on doit infliger des peines infamantes aux actions qui ne sont pas infâmes en elles-mêmes ; si le juge doit suivre dans tous les cas la lettre de la loi ; s’il peut être permis, dans quelque espèce de gouvernement que ce soit, de s’assurer, sans l’intervention des lois, de la personne d’un citoyen dangereux.