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ÉLÉMENS

objets sur lesquels doit porter la morale de l’homme. Celle des législateurs a deux branches : ce que tout gouvernement de quelque espèce qu’il soit doit à chacun de ses membres, et ce que chaque espèce particulière de gouvernement doit à ceux qui lui sont soumis.

Conservation et tranquillité ; voilà ce que tout gouvernement doit à ses membres, et ce qu’il doit également à tous. Or c’est par les lois que tout gouvernement satisfait à ces deux points. Le premier principe de la morale des législateurs est donc qu’il n’y a de bon gouvernement que celui dans lequel les citoyens sont également protégés et également liés par les lois. Ils ont alors un même intérêt à se défendre et à se respecter les uns les autres ; et en ce sens ils sont égaux, non de cette égalité métaphysique, qui confond les fortunes, les honneurs et les conditions, mais d’une égalité qu’on peut appeler morale, et qui est plus importante à leur bonheur. L’égalité métaphysique est une chimère qui ne saurait être le but des lois, et qui serait plus nuisible qu’avantageuse. Établissez cette égalité, vous verrez bientôt les membres de l’État s’isoler, l’anarchie naître et la société se dissoudre. Etablissez au contraire l’inégalité morale y vous verrez une partie des membres opprimer l’autre, le despotisme prendre le dessus et la société s’anéantir.

Il en est des lois comme des sciences : ce n’est pas par le nombre des principes particuliers, c’est par la fécondité et l’application des principes généraux qu’on leur donne de l’étendue et de la force. Les lois sont de deux espèces, criminelles ou civiles. Par rapport aux lois criminelles, la morale s’attache à développer les principes qui doivent en diriger l’objet, l’établissement et l’exécution.

Les lois supposent qu’aucun citoyen ne doit se trouver par sa situation dans la nécessité absolue d’attenter à la vie ou à la fortune d’un autre. Elles ne doivent donc permettre d’attaquer la vie de son ennemi qife pour défendre la sienne. Mais elles ne peuvent permettre en aucune occasion d’attaquer par des moyens violens la fortune de qui que ce soit ; non-seulement parce qu’elles doivent toujours offrir au citoyen des moyens de rentrer dans ce qu’on lui a ravi, mais parce que l’économie et la balance de la société doit être telle, qu’aucun citoyen n’y soit malheureux sans l’avoir mérité ; ce qui lui ote le droit de dépouiller ou de vexer son semblable. Ce n’est pas à dire pourtant que dans une société mal gouvernée, comme la plupart le sont, les citoyens malheureux puissent se procurer par des violences le nécessaire que la société leur refuse ; tolérer ces violences ne serait dans l’État qu’un mal de plus. La punition des coupables est alors une