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ÉLÉMENS

quelque reste d’humanité et de justice. Nous ne parlons fci que des maux civils du luxe, de ceux qu’il peut produire dans la société ; que sera-ce si on y joint les maux purement personnels, les vices qu’il produit ou qu’il nourrit dans ceux qui s’y livrent, en énervant leur âme, leur esprit et leur corps ? Aussi plus l’amour de la patrie, le zèle pour sa défense, l’esprit de grandeur et de liberté sont en honneur dans une nation, plus le luxe y est proscrit ou méprisé ; il est le fléau des républiques, et l’instrument du despotisme des tyrans.

Une autre question qui tient à celles du nécessaire absolu et relatif, est la question de l’usure, si agitée par les pliilosophes et les écrivains moraux. Il ne serait pas surprenant que sur ce point, ainsi que sur beaucoup d’autres, les préceptes de la religion allassent plus loin que ceux de la société ; mais, pour bien connaître ce que la religion ajoute à la morale en cette matière, il est du devoir du philosophe d’examiner les règles que la raison et l’équité purement naturelle nous prescrivent. En quoi consiste l’usure proprement dite ? Si ce qui est usure dans un cas peut ne pas l’être dans un autre, eu égard aux circonstances et aux personnes ? Si l’aliénation du fonds est nécessaire pour pouvoir exiger l’intérêt de l’argent ? Enfin, si l’intérêt composé, c’est-à-dire l’intérêt de l’intérêt, est en lui-même plus contraire à la morale que l’intérêt simple ? On pourrait faire voir à cette occasion, et c’est une observation que nous croyons nouvelle et importante, que, si l’intérêt composé est plus onéreux au débiteur que l’intérêt simple, lorsque le débiteur s’acquitte au-delà du temps par rapport auquel l’intérêt est fixé, l’intérêt composé est au contraire favorable au débiteur lorsqu’il s’acquitte avant ce même temps ; vérité de calcul qu’un auteur de morale peut mettre aisément à la portée de tout le monde[1].

  1. Pour rendre sensible à tous nos lecteurs cette observation, supposons qu’un particulier préte à un autre une somme d’argent à 3 pour 1 d’intérêt par an, cette usure exorbitante ne peut sans doute jamais être permise en morale ; mais l’exemple est choisi pour rendre le calcul plus facile. Il est clair qu’au commencement de la première année, c’est-à-dire dans l’instant du prêt, le débiteur devra simplement la somme prêtée 1 ; qu’au commencement de la deuxième année, il devra la somme 4 ; et que cette somme 4 devant porter son intérêt à 3 pour 1, il sera dû au commencement de la troisième année la somme 4 plus 12, ou 16 ; en sorte que les sommes 1, 4, 16 dues au commencement de chaque année, c’est-à-dire à des intervalles égaux, formeront une proportion dans laquelle le troisième nombre contient le second, comme celui-ci contient le piemier. Or, par la même raison, si on cherche la somme due au milieu de la première année, on trouvera que cette somme est 2, parce que la somme due au miliieu de la première année doit former aussi une proportion semblable avec les sommes 1 et 4 dues au com-