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DE PHILOSOPHIE.

VIII. DIVISION DE LA MORALE.
MORALE DE L’HOMME.

Quoique le genre humain ne compose proprement qu’une grande famille, néanmoins la trop grande étendue de cette famille l’a obligé de se séparer en différentes sociétés qui ont pris le nom d’États, et dont les membres se rapprochent par des liens particuliers, indépendamment de ceux qui les unissent au système général. La morale a donc quatre objets : ce que les hommes se doivent comme membres de la société générale ; ce que les sociétés particulières doivent à leurs membres ; ce qu’elles se doivent les unes aux autres ; enfin ce que les membres de chaque société particulière se doivent mutuellement, et à l’État dont ils sont membres. Les premiers devoirs renferment la loi naturelle ou générale, qui n’est bornée ni par les temps ni par les lieux, et qu’on peut nommer la morale de l’homme ; les devoirs de la seconde espèce peuvent être appelés la morale des législateurs ; ceux de la troisième la morale des États ; enfin les devoirs du quatrième genre, la morale du citojen. Ainsi on trouve dans cette division le droit naturel ou commun ; le droit politique, qu’il ne faut pas confondre avec la politique à laquelle il est souvent contraire ; le droit des gens et le droit positif. À ces quatre branches de la morale on peut en ajouter une cinquième, la morale du philosophe : elle n’a pour objet que nous-mêmes, et la manière dont nous devons penser pour rendre notre condition la meilleure ou la moins triste qu’il est possible. Parcourons successivement ces différentes branches, et voyons les principaux points qui s’y rapportent.

Les lois générales et naturelles sont de deux espèces, écrites ou non écrites. Les lois naturelles écrites sont celles dont l’observation est tellement nécessaire au maintien de la société, qu’on a établi des peines contre ceux qui les violeraient. On appelle crime toute action qui tend à violer les lois naturelles écrites. De cette seule notion se déduisent, comme nous le verrons plus bas, les principes par lesquels on peut juger de la nature et du degré d’énorniité de chaque crime.

Les lois naturelles non écrites sont celles à l’infraction desquelles on n’a point attaché de peines, parce que cette infraction ne porte pas un trouble aussi marqué dans la société que l’infraction des lois naturelles écrites. Mais si l’observation de celles-ci est nécessaire pour rendre la société durable, l’observation de celles-là ne l’est pas moins pour rendre la société douce et florissante : leur transgression est même un poison lent qui