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DE PHILOSOPHIE.

de la nature ? N’est-ce pas vraisemblablement cette privation de société, plus que toute autre cause, qui réduit les animaux à un cercle d’idées si étroit et si borné ? Mais pourquoi les animaux, avec des organes semblables à ceux des hommes, n’ont-ils pas le même penchant que les hommes à se rapprociier les uns des autres ? Pourquoi leur langue et leur bouche, d’ailleurs si semblables à la nôtre en apparence, ne forment-elles pas des sons articulés ? Il faut que les philosophes aient bien senti la difficulté de répondre à ces questions, puisque la seule réponse qu’ils y aient faite jusqu’à présent, c’est que le Créateur a voulu que l’homme vécut en société, et que les animaux n’y vécussent pas ; réponse qui ne satisfait à rien, et qui pourtant est la seule raisotmable ; car comment expliquer ce qu’on ne comprend pas, si ce n’est en disant : Dieu l’a voulu ainsi ? Si les philosophes ont quelque chose à se reprocher, c’est peut-être de ne pas donner plus souvent cette solution aux questions qu’on leur fait ; ils n’en seraient pas plus ignorans, ni nous plus mal instruits ; ils auraient de plus le mérite d’avouer au moins leur ignorance, et nous celui de ne pas chercher en vain à sortir de la nôtre. Que de questions métaphysiques et théologiques, dont les scolastiques prétendent donner la solution, que le vrai philosophe cherche encore et cherchera vraisemblablement toujours ; que d’objections dont il doit dire : Je sais bien la réponse qu’on fait à cette difficulté, mais je n’y sais pas répondre.

VII. MORALE.

L’existence de l’Être suprême étant une fois reconnue, nous conduit à chercher le culte que nous devons lui rendre. Mais quoique la philosophie nous instruise jusqu’à un certain point sur ce grand objet, cependant les lumières qu’elle nous donne sont très-imparfaites. Le Créateur nous en a avertis lui-même, en nous prescrivant, par une révélation particulière, la manière dont il veut être honoré, et que tous les efforts de la raison n’auraient pu nous faire découvrir. Ainsi la religion, qui n’est autre chose que le culte que nous devons à l’intelligence souveraine, ne doit point entrer dans des élémens de philosophie ; la religion naturelle ne doit même y paraître que pour nous avertir qu’elle ne suffit pas.

Mais ce qui appartient essentiellement et uniquement à la raison, et ce qui en conséquence est uniforme chez tous les peuples, ce sont les devoirs dont nous sommes tenus envers nos